L’Isère haute couture - Deux siècles de savoir-faire textile

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Soieries imprimées du Nord-Isère, draperies de laine cardée de Vienne, velours et toiles de Voiron, cotonnades indiennes de Vizille, gants de Grenoble et lingerie fine…

Durant des siècles, l’Isère a déployé un savoir-faire textile reconnu au-delà de ses frontières avec des ateliers et fabriques répartis un peu partout dans les villes ou les campagnes et des marques prestigieuses. Un patrimoine toujours vivant et inspirant, prisé aujourd’hui par les grandes maisons de luxe, le sportswear ou des industries de pointe, comme l’aéronautique.

 

Au commencement était le chanvre, l’une des toutes premières plantes cultivées par l’homme. Poussant près des cours d’eau et des marécages, il sert à fabriquer des vêtements dès le néolithique puis du papier dans l’Antiquité. Des fragments de textiles millénaires ont ainsi été retrouvés autour des anciens villages lacustres de Paladru ! Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la fibre, cardée et tissée en hiver dans les villages de montagne, a fait bouillir la marmite de nombreux Isérois. 

 

La toile de Voiron : de la marine au linge de table

Pas moins de 1 200 producteurs contribuent alors à la réputation de la toile de Voiron, acheminée en Provence par les bateliers isérois ou dans les hottes des colporteurs de l’Oisans. Vers 1870, avec la disparition de la marine à voile et l’expansion du coton, le déclin du chanvre s’amorce. 

Aujourd’hui, près de quatre siècles et douze générations après la naissance de l’atelier du maître toilier Charles Champollion (ancêtre du célèbre égyptologue), la Maison Denantes, fondée en 1723 par son gendre, perpétue cette histoire : l’entreprise, toujours familiale, est connue dans le monde hôtelier pour ses draps et linges de table de qualité (beaucoup de particuliers connaissent aussi sa boutique dans la zone des Blanchisseries, à Voiron !). 

 

Une fabrique de cotonnades au château de Vizille 

À la fin du XVIIIe siècle, c’est la mode des cotonnades imprimées importées d’Inde. En 1780, Claude Perier, négociant en toiles et banquier, acquiert le château de Vizille auprès des descendants du duc de Lesdiguières pour y installer sa propre manufacture d’indiennes. 

Le succès est fulgurant : les ateliers occupent les grandes salles du château (qui abritent aujourd’hui le musée de la Révolution française) tandis que les jardins servent d’étendage ! Aux prémices de la Révolution, une nouvelle fabrique est créée par les Neuchâtelois Pourtalès et Perrégaux à Jallieu (qui n’est pas encore jumelée avec Bourgoin). 

 

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L'usine de VaIisère à Grenoble vers 1960. La marque de lingerie fine vante le savoir-faire local dans le monde entier à travers des slogans publicitaires tels que celui-ci : "Les doigts de fée de l'ouvrière dauphinoise sont légendaires".

 

Le temps des usines-championnats 

Cette concurrence n’arrange pas les affaires des soyeux lyonnais. Au XIXe siècle, cette industrie hier florissante nourrit encore les trois quarts de la population. Mais des ateliers ferment et les milliers d’ouvriers tisserands– les fameux canuts – vont se révolter en 1831 contre leurs conditions de travail.

Les fabricants ont alors l’idée de créer des usines-pensionnats dans les campagnes du Nord-Isère, autour des séricicultures et des cours d’eau (il en faut toujours beaucoup). Les jeunes villageoises, souvent rompues à la fabrication de draps et toiles à la ferme, fournissent une main-d’oeuvre docile et bon marché. 

À la fin du XIXe siècle, 80 000 ouvrières, logées et nourries, font tourner ces immenses fabriques autour de Bourgoin-Jallieu, dans le Sud-Grésivaudan ou dans la Bièvre. Créée en 1851, celle de Boussieu, à Nivolas-Vermelle, vendue en 1891 à la famille Schwarzenbach, sera l’une des dernières à fermer son internat, en 1940. On peut en voir la maquette au musée de Bourgoin-Jallieu. 

 

L’ennoblissement textile : une spécialité nord-iséroise

Avec la mécanisation, de nouvelles compétences se développent dans le Nord-Isère autour de la soierie : en 1871, le Suisse Théophile Diederichs s’installe à Jallieu pour fabriquer des métiers à tisser à moteur qu’il vendra dans le monde entier.

Son usine emploiera jusqu’à 1 500 ouvriers à Bourgoin-Jallieu. Les délocalisations massives du textile dans les années 1990 auront raison de ce fleuron industriel et de beaucoup d’autres. L’ennoblissement et l’impression textile n’en demeurent pas moins une spécialité reconnue dans le Nord-Isère. 

Aujourd’hui encore, les grandes maisons de couture, comme Hermès, font largement appel à ces savoir-faire.

 

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La révolution des fibres artificielles

Dans la première moitié du XXe siècle, l’arrivée des fibres artificielles telle la rayonne, obtenue par traitement chimique, va faire le bonheur des femmes modernes :fini, le repassage ! En 1927, un industriel lyonnais ouvre l’usine de la viscose entre Grenoble et Échirolles, sur un site de 120 hectares. Jusqu’à 2 000 salariés de 40 nationalités se côtoieront dans la cité ouvrière modèle (qui fermera en 1989). Son fil sera tissé partout en France et notamment chez Valisère, la célèbre marque de lingerie créée par les patrons de la ganterie Perrin.

 

Valisère : du gant à la lingerie

En 1910, alors que le gant de peau qui a fait la réputation de Grenoble dans le monde est de moins en moins à la mode, ces derniers sentent le bon filon et lancent le gant de jersey indémaillable. En 1919, l’entreprise rebaptisée Valisère se met ainsi à produire des sous-vêtements féminins qui prendront bientôt le dessus sur le gant.

L’usine de la rue de New-York deviendra l’une des plus importantes de Grenoble avec un millier de salariés, dont une majorité de femmes. Jusqu’à ce que la minijupe et le jean remisent le fond de robe au placard dans les années 1960… La marque rachetée par Triumph sera délocalisée finalement en 1990.

 

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L'usine de Lou à Grenoble employait 1 200 salariées en 1968. La marque de corseterie est connue pour son audace.

 

Bas nylon et jolie poitrine

La minijupe et la mondialisation feront d’autres victimes : le bas Nylon sans couture de Clairmaille, lancé en 1939, en pleine « drôle de guerre », par la Bonneterie de la Michalière, à Fitilieu, sera produit jusqu’à 150 000 paires en 1956. Tout s’arrête en 1975.

Lora, la marque de lingerie berjallienne créée, elle aussi en 1939, par le tisseur Antoine Gerlet, connaîtra un sort identique malgré le succès de son « slip inimitable» en fibres latex.

Disparue elle aussi, la société Alto, native de Bourgoin-Jallieu en 1956. Son slogan « O-yes, jolie poitrine » fait pourtant fureur : Miss America adoptera son soutien-gorge Cinéma, qui sera porté ensuite à l’écran par Jean-Luc Godard dans Masculin-Féminin, en 1966. L’entreprise de 300 personnes a déjà été rachetée par l’américain Playtex, qui ouvrira sa première usine française à La Tour-du-Pin. Trente ans plus tard, elle fermera ses portes à son tour, comme Lejaby à Vienne.

 

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André et Lou Faller, un couple mythique de la mode iséroise qui a créé Lou et Karting. Brigitte Bardot sera l’égérie de cette marque de pantalons super sexy.
André et Lou Faller, un couple mythique de la mode iséroise qui a créé Lou et Karting. Brigitte Bardot sera l’égérie de cette marque de pantalons super sexy.

 

Lou, l’une des plus prestigieuses marques de lingerie françaises, continuera quant à elle de fabriquer ses soutiens-gorges en Isère jusqu’au début des années 2000. L’histoire (vraie) de la marque commence dans l’Orient-Express en 1946, quand André Faller et Lucienne Scheltien, deux passionnés de ski, tombent follement amoureux. Ils donneront naissance à leur petite entreprise de corseterie, dans une ancienne ganterie de la rue du Général-Ferrié, à Grenoble. 

En 1968, la société emploie 1 200 couturières dans la ville. Le couple mythique la revendra en 1971 pour fonder ensuite la société Karting, dont les pantalons extensibles déclinés dans une large palette de couleurs seront immortalisés par Brigitte Bardot. La marque rachetée par le breton Armor Lux habille aujourd’hui les seniors. 

 

Des doudounes qui prennent de la hauteur

Autre belle histoire iséroise, celle de Moncler. Née en 1952 Monestier-de-Clermont dans un ancien atelier de pantoufles, la petite entreprise artisanale de sacs de couchage et de tentes développe la fameuse doudoune matelassée en duvet d’oie qui va faire sa fortune sur les pistes avant de s’imposer à la ville.

En 1980, Chantal Thomas pose sa griffe dessus et Caroline de Monaco l’arbore dans Paris-Match en haut d’un télésiège. Mais en 2003, à la suite de difficultés financières, la marque passe sous pavillon italien. Cotée à la Bourse de Milan, Moncler est aujourd’hui la troisième marque de luxe transalpine, loin des Alpes iséroises… même si elle revendique toujours ses origines avec sa ligne « Moncler-Grenoble ».

 

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Le retour d’Anoralp

Née en 1972 à Voiron, Anoralp s’est elle aussi très vite imposée comme une référence internationale dans le milieu de l’alpinisme et de la haute montagne avec ses vestes légères et ultra-isolantes. La marque s’était ensuite endormie au milieu des années 1980.

Cinquante ans plus tard, la belle-fille du fondateur, Fabienne Gachet, a fait le pari de la relancer : l’héritage technique est conservé mais adapté à un vestiaire citadin. Les parkas ou vestes modulables trois couches avec coutures

©Fonds Photopress - Collection Archives départementales de l'Isère

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Le Musée de Bourgoin-Jallieu

Bourgoin et Jallieu, qui s’unissent en 1967, s’imposent dès la fin du XVIIIe siècle dans le travail d’impression des cotonnades indiennes. Le savoir-faire de la cité en matière d’ennoblissement du textile et notamment de la soie ne cessera de se développer au fil des décennies, jusqu’au début des années 2000.

Travail des couleurs, création des motifs, apprêts et techniques de gravure… Ce musée installé dans l’ancien hôtel-Dieu et sa chapelle, riche d’une belle collection de machines et d’échantillons des grandes maisons de mode ou d’ameublement, met en scène de façon vivante les différentes techniques qui se sont succédé au fil des siècles, de la planche de bois à l’impression numérique à jet d’encre.

Une visite indispensable pour les amateurs de belles étoffes ! 

 

17, rue Victor Hugo, Bourgoin-Jallieu

Contact : 04 74 28 19 74 - musee.bourgoinjallieu.fr

 

©Musee Bourgoin-Jallieu


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Le Musée du Tisserand dauphinois

Le village de La Bâtie-Montgascon, marqué par deux siècles de travail de la soie, fut longtemps surnommé « Croix-Rousse du Bas-Dauphiné » : dans les années 1920, il comptait 960 métiers à tisser pour 1 000 habitants !

Installé dans une ancienne usine à sheds, sur 750 m2, le musée du Tisserand dauphinois présente toutes les étapes de fabrication des étoffes à travers une belle collection de machines. Les ourdissoirs, canetières et métiers à tisser à bras ou mécaniques, datés pour certains du XIXe siècle, reprennent régulièrement du service lors de démonstrations pour produire les brochés, jacquards, velours de Gênes ou lampas. 

 

Ouvert de fin mars à mi-novembre et toute l’année sur demande pour des visites groupées ou scolaires sur inscription.

76, rue des Tisserands, La Bâtie-Montgascon

Contact : 04 74 83 08 99 - museedutisserand.fr

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Le musée de la Viscose à Échirolles

Installé entre les terrains de l’ancien site Cellatex et de la cité ouvrière, le musée retrace soixante ans d’aventure de la viscose ou soie artificielle, de la création de l’usine en 1927 à sa fermeture en 1989. 

 

Visites commentées sur demande

7, rue du Tremblay, Échirolles

Contact : 04 76 22 58 63 - le-trace.fr

 

©Coll AME


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Le temps des usines-pensionnats L’usine Girodon, édifiée entre 1873 et 1875 à Saint-Siméon-de-Bressieux, est l'un des rares ouvrages encore debout à pouvoir témoigner de ces cités-pensionnats qui fleurirent un peu partout dans la campagne du Nord-Isère.

Avec sa majestueuse verrière centrale à charpente métallique et ses ateliers aux toitures sheds typiques, son architecture est typique.

 

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Près de 900 jeunes filles venues des campagnes environnantes vécurent travaillèrent ici à la fin du XIXe siècle pour la fabrique lyonnaise de soie, alors en plein essor. L’usine fermera ses portes en 1934. Le bâtiment, tout comme la cité ouvrière attenante en pisé, est inscrit aux Monuments historiques depuis 1990.

 

©Aurélien Breysse et ©Musée dauphinois

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