Biodiversité, un capital nature à préserver

L’étang de Lemps à Optevoz est l’un des 17 espaces naturels sensibles gérés par le Département de l’Isère. D’une superficie de 23 hectares, cette zone humide est un trésor de biodiversité. Elle abrite notamment la très menacée tortue cistude.
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L’Isère, par la diversité et le nombre de ses milieux naturels, abrite une faune et une flore sauvages parmi les plus riches de France. Encore faut-il en prendre soin. Le Département s'y emploie.

L’étang de Lemps à Optevoz est l’un des 17 espaces naturels sensibles gérés par le Département de l’Isère. D’une superficie de 23 hectares, cette zone humide est un trésor de biodiversité. Elle abrite notamment la très menacée tortue cistude.

 

Au cœur de la politique environnementale du Département, les espaces naturels sensibles sont autant des sanctuaires pour des espèces patrimoniales ou menacées que des lieux de partage et d’apprentissage de cette vie sauvage qui se développe tout près de nous sans qu’on y prête parfois attention.

 

À première vue, il ne se passe pas grand-chose dans cet étang du Nord-Isère. La tortue cistude, pourtant présentée sur tous les panneaux comme la vedette locale, n’a pas encore daigné montrer le bout de sa carapace.

À part les nénuphars et quelques libellules en goguette, Lila et Titouan ont bien du mal à repérer toutes les espèces d’oiseaux ou de fleurs présentes. Avec Esther, animatrice nature du Département venue à leur rencontre, tout devient autrement plus intéressant : “Fermez les yeux. Vous entendez ce chant ? C’est la cigale plébéienne qui lance son appel nuptial. Autrefois, elle ne vivait que dans le sud. Sa présence est un signe du réchauffement du climat.”

Munie d’un grand filet, elle leur montre ensuite une gracile libellule, occupée à pondre ses œufs sur la tige d’une herbe aquatique. “Elle peut en pondre jusqu’à 600, 12 à la minute.” Esther a beaucoup à dire sur les mœurs de ces séductrices aux ailes translucides. Les enfants écarquillent les yeux, fascinés. Tout grouille de vie ici ! Et Lila remarque enfin une tortue cistude qui prend un bain de soleil sur une branche.

 

Préserver les réservoirs de biodiversité

Cette dernière est une espèce en voie de disparition emblématique de l’Isle-Crémieu, où se situe l’étang de Lemps – l’un des 17 ENS propriété du Département de l’Isère. Avec les 129 ENS communaux, ce réseau est l’un des plus vastes de France.

Acquis via une taxe sur les permis de construire (10 000 dépôts par an en Isère), ces espaces sont représentatifs de la biodiversité en Isère, avec 40 habitats naturels relevant de la Directive européenne de protection du patrimoine naturel – dont neuf sont d’intérêt prioritaire.

“Il ne s’agit pas de mettre la nature sous cloche, précise Céline Dolgopyatoff Burlet, vice-présidente du Département en charge de l’environnement et de la biodiversité. Ces sites sont des aires protégées complémentaires des parcs nationaux et des réserves naturelles nationales et régionales. Ils sont aussi un levier essentiel pour sensibiliser la population au respect de l’environnement.”

Avec l’urbanisation importante, les espèces sauvages voient leur territoire vital se réduire chaque année. “Depuis vingt ans, l’urgence a été de sauvegarder les zones humides, comme les étangs, les marais ou des tourbières, qui fournissent des services précieux : épuration de l’eau, atténuation des crues, soutien d’étiage, explique Marie- Anne Chabert, responsable du service patrimoine naturel au Département.

Ce sont aussi des réservoirs de biodiversité assurant des fonctions vitales pour le cycle de vie des espèces ! Aujourd’hui, nous nous concentrons aussi sur les pelouses sèches, ces prairies à orchidées qui servent de refuge à toute une petite faune et qui disparaissent avec le manque d’entretien. Sur l’ensemble du réseau ENS, nous avons déjà passé des partenariats avec une soixantaine d’agriculteurs pour des besoins d’entretien (fauche, pâturage) favorables à la biodiversité. Ces derniers vont bénéficier en retour des services rendus par la nature.”

L’enjeu de fait n’est pas de stopper toute activité économique et humaine, mais de les gérer en harmonie, au profit de tous. Le Département soutient, par exemple, l’agriculture biologique et forme ses agents des routes aux pratiques du fauchage dit « raisonné » des bords de chaussée, plus respectueuses du vivant. L’ouverture des ENS au public et la présence des animateurs nature durant tout l’été suivent cette même logique.

Profitez de ces animations nature, c’est gratuit !


Interviews

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Céline Dolgopyatoff Burlet, vice-présidente du Département en charge de l’environnement et de la biodiversité

 

“Les ENS sont au service d’une vraie ambition”

Isère Mag : Le Département a demandé à l’État de reconnaître les espaces naturels sensibles (ENS) comme des aires de protection forte de la biodiversité au même titre que les réserves naturelles nationales, par exemple. Pourquoi ?

Céline Dolgopyatoff Burlet : L’Isère a développé un réseau d’ENS parmi les plus importants de France : des sites départementaux et des sites locaux, gérés par les communes et les intercommunalités, où de nombreuses espèces protégées sont présentes, en plaine comme en montagne.

Ces espaces patrimoniaux bénéficient d’une gestion opérationnelle avec des objectifs de préservation et un suivi scientifique, une gestion concertée avec les acteurs locaux, et pour chacun un comité de site constitué d’élus locaux, d’agriculteurs, des fédérations de chasse et de pêche, de randonneurs, d’habitants, de professionnels…Ce réseau d’ENS est aussi un réseau d’acteurs autour de l’écologie pour trouver des solutions aux enjeux sur le terrain. Ces sites sont au service d’une vraie ambition avec une expertise reconnue dans leur gestion : à ce titre, ils doivent être reconnus comme tels par l’État.

I. M. : Pourquoi le Département mise sur les ENS pour préserver la biodiversité ?

C. D. B. : Pour préserver et valoriser la biodiversité, nous promouvons une approche pragmatique et incitative : donner envie, valoriser, faire connaître, accompagner les pratiques vertueuses, c’est efficace.

Les ENS sont au cœur de cette stratégie. Chaque Isérois en a un près de chez lui : nous vous invitons tous à les découvrir notamment avec nos animateurs cet été, pour apprécier la richesse de la nature. Ils sont notre fierté. 200 rendez-vous thématiques* sont organisés cet été.

 

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Fabien Mulyk, vice-président du Département en charge de l’agriculture, de la forêt et de la gestion de l’eau. Président du Syndicat mixte des bassins hydrauliques de l’Isère (Symbhi)

 

 “L’eau et la forêt, des trésors de biodiversité”

Isère Mag : Le Département va planter 1,3 million d’arbres en Isère d’ici à 2028. Quelle en est la raison ?

Fabien Mulyk : Cette initiative est loin d’être anecdotique ! La plantation massive d’arbres dans des lieux utiles pour le territoire et l’environnement, en forêt, le long des parcelles agricoles, dans les collèges ou les centres-bourgs pour créer des îlots de fraîcheur, va permettre de favoriser la captation de carbone et de lutter contre les effets du réchauffement climatique.

C’est un investissement à long terme pour notre santé, notre qualité de vie et notre économie agricole et forestière.

I. M. : En charge de la forêt et de la gestion de l’eau, quelles actions menez-vous pour favoriser la biodiversité ?

F. M. : La forêt figure parmi les milieux naturels les plus riches en termes de biodiversité. Et, en Isère, elle couvre 40 % du territoire ! Nous avons la chance que nos forêts soient d’une grande diversité et, pour certaines, très anciennes, comme en Chartreuse.

Notre objectif est de continuer à accompagner cette diversité afin de permettre à nos forêts d’être résilientes face à la problématique du réchauffement climatique. Dans nos massifs, des épicéas sèchent déjà sur pied ou se font attaquer par des parasites autrefois tués par le froid. Nous favorisons ainsi la plantation d’autres essences, comme le douglas, le mélèze ou le cèdre, qui résistent mieux à la chaleur.

En ce qui concerne la gestion de l’eau, le Département apporte une aide technique et financière aux communes et aux associations de pêche pour la surveillance de la qualité de l’eau à travers des contrats de rivière. En partenariat avec le Symbhi, nous réalisons des aménagements pour recréer des forêts alluviales, rouvrir des bras morts de cours d’eau et favoriser la remontée des poissons.

*biodiversite.isere.fr

© F.Pattou

Encart

La biodiversité en Isère en chiffres

  • 3 600 espèces végétales recensées, dont 1 600 sur le réseau des ENS départementaux.
  • 700 habitats naturels, dont 30 % menacés de disparition (cours d’eau, marais, mares, forêts alluviales, coteaux secs, prairies sèches et forêts anciennes).
  • 326 espèces d’oiseaux, mammifères, reptiles et amphibiens dont 74 espèces menacées d’extinction (22 %) et 68 à surveiller (21 %).
  • 33 % d’aires protégées (c’est davantage que l’objectif national de 30 % du territoire classé en aires protégées d’ici à 2030), dont 7 % sont sous « protection forte », sans compter les ENS (2 % en Isère).
  • 146 espaces naturels sensibles (ENS), dont 17 sites gérés par le Département.
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Profiter de la nature en la respectant

Les confinements successifs ont entraîné une augmentation de la fréquentation en montagne et une hausse des incivilités. Exemple à Chamrousse, où l’espace naturel sensible du lac Achard se voit pris d’assaut par les touristes en été.

“Le feu, le camping, le bivouac y sont interdits. Mais le règlement est loin d’être respecté. Certains soirs, nous avons enregistré plus d’une cinquantaine de tentes autour du lac et tout autant de feux de camp”, déplore Brigitte de Bernis, maire de Chamrousse.

Afin de préserver ce joyau, la commune, avec l’aide du Département, a recruté un garde vert, de juillet à septembre, pour sensibiliser les visiteurs aux bons gestes.

“La nature est un terrain de découverte, mais il faut s’y comporter en tant qu’invités, tant sur l’espace public que dans les propriétés privées. Les lacs, prairies et forêts sont des lieux de vie pour la faune et la flore. Ce sont aussi des espaces à partager avec les forestiers et les agriculteurs…”, poursuit Arnaud Callec, responsable des espaces naturels et ruraux au Département.

© Images et Rêves


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Plants de sauvetage pour le Liparis de Loesel

“Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.” Ce vers de Lamartine est vrai pour le liparis de Loesel. Cette orchidée rare, qui figure aujourd’hui sur la liste des espèces menacées et protégées au plan national, pourrait presque passer inaperçue. Toute une faune est pourtant inféodée à sa présence : “C’est un indicateur précieux du bon fonctionnement hydraulique de nos marais, précise Didier Joud, écologue au Département de l’Isère. Et du bon fonctionnement de ces zones humides dépend en bonne partie la qualité de notre eau et de notre air.”

Le peuplement de liparis ayant quasi disparu du marais du Val d’Ainan, l’un des 17 espaces naturels sensibles gérés par le Département, dans le pays voironnais, ce dernier a piloté un programme de réimplantation en 2019, avec des bulbes issus du Conservatoire botanique national alpin.

“C’est une opération longue et complexe, car cette orchidée vit en symbiose avec certaines familles de champignons mycorhiziens qui nourrissent ses racines. Mais a priori la transplantation a réussi”, espère le spécialiste.

© J.Carlin


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Les ENS reconnus nationalement

Les espaces naturels sensibles vont bientôt être davantage reconnus. La stratégie nationale vise à classer 30% du territoire français sous protection, dont 10% sous protection forte.

L’objectif est de préserver des zones qui ont un grand intérêt écologique contre l’urbanisation, de les gérer de manière durable et d’y encadrer les activités humaines. Font déjà office de zones de protection forte, les cœurs de parcs nationaux, les réserves naturelles et les réserves biologiques, soit 6,84 % de la surface de l’Isère. En France, ce taux est de 1,8 % !

Pour participer à l'objectif national, le Département vient d'engager un travail avec l'Etat pour démontrer l'intérêt écologique et la bonne gestion de son réseau d'ENS et les faire reconnaître comme des “aires de protection forte de la biodiversité.”

Cette reconnaissance lui permettra de se doter de moyens plus dissuasifs permettant, au-delà d’une démarche pédagogique, de verbaliser les incivilités. Le défi étant de concilier protection des espèces, gestion des milieux naturels et cohabitation des usages.

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Le Grand Albert, future réserve naturelle

Au cœur de la forêt de Bonnevaux, à Arzay, les moines ont créé au Moyen Âge de nombreux étangs pour satisfaire leurs besoins en irrigation et en nourriture. Malheureusement, l’un d’eux, l’étang du Grand Albert, s’est asséché à partir de 2008 à la suite de la rupture d’une digue. Une situation préjudiciable pour ses propriétaires et les usagers, mais aussi pour les espèces faunistiques et floristiques qui y avaient trouvé refuge, comme certaines libellules rares ou encore le héron pourpré.

Après plusieurs réunions de concertation auxquelles a participé Jean-Pierre Barbier, le président du Département, il a été décidé de remettre en eau cet étang de 17 hectares de superficie et d’en faire, à terme, une réserve naturelle. Le chantier, qui a débuté en début d’année, a été confié à la LPO Auvergne-Rhône-Alpes et porte principalement sur la modification de la profondeur de l’étang, la restauration de la digue, la réalisation d’ouvrages de vidange et l’installation de panneaux pédagogiques. Le 15 avril dernier, Jean-Pierre Barbier s’est rendu sur place pour prendre la mesure des travaux entrepris et rappeler “son attachement à la multiplicité des usages sur ce site.”

© F. Pattou


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Des zones humides connectées

“Les travaux n’étaient pas encore achevés que l’on constatait déjà la présence de nids de guêpiers d’Europe”, confie Morgane Buisson, chargée de projets au Syndicat mixte des bassins hydrauliques de l’Isère (Symbhi).

L’étang Manon, situé à La Pierre, comme celui du Bois Claret à Bernin (photo), est l’une des nombreuses gravières qui ont été exploitées jadis pour construire l’autoroute A41. Avec le temps, le site d’extraction, alimenté par la nappe phréatique, s’est transformé en plan d’eau. Le Symbhi a décidé de renaturer ce dernier et de le connecter à l’Isère pour favoriser le développement de la biodiversité.“Les berges et les hauts-fonds ont été végétalisés avec des plantes aquatiques (roseaux, scirpes…) très appréciées des poissons, des batraciens et des oiseaux nicheurs”, poursuit Morgane.

Deux autres étangs, celui des Iles-du-Fay, à Lumbin, et du Carré, à Goncelin, ont fait l’objet de travaux identiques. Avec la restauration de 330 hectares de forêts alluviales et la reconnexion de bras morts à la rivière, ces aménagements s’intègrent dans le volet environnemental du projet « Isère Amont », conduit par le Symbhi pour protéger un bassin de population de 300 000 habitants, entre Pontcharra et Grenoble, contre les crues de l’Isère.

© SO Dupont-Renoux

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