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Leurs vertus thérapeutiques étaient déjà connues dans l’Égypte antique. D’hier à aujourd’hui, le musée de Saint-Antoine-l’Abbaye retrace l’épopée des parfums qui soignent, dans un parcours odorant, et fait état des dernières connaissances sur le sujet.
Connaissez-vous le Kiphy ? En actionnant le dispositif olfactif présenté au musée de Saint-Antoine-l’Abbaye, un voluptueux bouquet de senteurs de résines, d’aromates et de miel s’exhale vers nos narines.
Ses notes semblent très modernes. Sa recette date pourtant de seize siècles : c’est le plus ancien parfum connu des Égyptiens, dont la recette a été retrouvée sur un papyrus. “Il était réputé soigner les maladies pulmonaires, hépatiques et intestinales, mais aussi pour ses effets antistress”, confie Annick Le Guérer, historienne et anthropologue, autrice de nombreux ouvrages sur les pouvoirs thérapeutiques des parfums à travers les âges.
Treize ans après l’ouverture de son exposition « Quand le parfum portait remède », le musée de Saint-Antoine-l’Abbaye a de nouveau fait appel à cette spécialiste pour renouveler totalement le propos de l’exposition, enrichi par les dernières connaissances sur le sujet. “Depuis quelques années et après une longue éclipse, le parfum fait son grand retour dans les hôpitaux, avec des thérapies olfactives qui ont fait leurs preuves en psychothérapie ou dans le traitement de la douleur”, poursuit-elle.
Oxygéner l’âme, éloigner la peste
On découvrira ainsi comment l’envoûtante thériaque, conçue par le médecin de Néron pour lutter contre les insomnies et les empoisonnements, valut à nombre d’empereurs romains une sévère addiction à l’opium.
Cet élixir embaumant fut utilisé jusqu’en 1884 ! Et l’on comprendra pourquoi François Ier ne sortait jamais sans sa fiole de momie autour du cou : s’inspirant des savoir-faire des Égyptiens, Paracelse, le grand médecin suisse, avait remis au goût du jour cette essence à base de poudre de cadavre (de préférence ceux de jeunes hommes roux condamnés à mort) face à la peste noire.
On retiendra encore le nom de ce botaniste lyonnais, Pierre Poivre, administrateur colonial, qui, au péril de sa vie, mit fin au monopole des Hollandais sur les épices du Nouveau Monde et les rendit ainsi accessibles.
Mais impossible de raconter ici toutes les surprises que nous révèle ce parcours polysensoriel et interactif. Surtout, il manquerait une dimension essentielle : grâce à un partenariat avec International Flavors and Fragrances (IFF), le maître-parfumeur Dominique Ropion a pu recréer neuf de ces fragrances mythiques, à partir des formules retrouvées par Annick Le Guérer. Une exposition qui fait appel à tous nos sens.
©RMN-GrandPalais AgenceBulloz / Les Arts Decoratifs - Jean Tholance
Interview
Annick Le Guérer, historienne et anthropologue, spécialiste des parfums et de l’odorat.
Iseremag.fr : Vous travaillez depuis trente ans sur l’histoire et les pouvoirs des parfums et de l’odorat à travers les époques, auxquels vous avez consacré de nombreux ouvrages de référence. Qu’est-ce qui vous a amenée à ce sujet ?
Annick Le Guérer : Mon père étant médecin et mon beau-père parfumeur, j’ai été frappée par cette éclipse de l’odorat dans les soins, alors même que les vertus thérapeutiques des parfums sont connues depuis l’Antiquité.
Durant la grande peste à Athènes, au Ve siècle av. J.-C., Hippocrate préconisait des feux de bois aromatiques pour chasser le mal. Chez les premiers chrétiens, les parfums furent ensuite réservés aux saints, car ils étaient synonymes de séduction. Mais les religieux, comme les hospitaliers de Saint-Antoine y recourent abondamment pour soigner les malades, notamment ceux atteints du mal des ardents, lié à l’ingestion de seigle avarié pendant les disettes.
Dans les jardins des moines et des princes, on cultive quantité d’herbes aromatiques, de fleurs, de fruits pour confectionner les compositions odorantes qui constituent alors l’essentiel de la pharmacopée.
Avec la découverte des Amériques, de nouveaux ingrédients vont encore l’enrichir : « l’eau d’ange », évoquée par Rabelais et popularisée à Florence par les Médicis, comporte entre autres épices du benjoin, une résine aux propriétés cicatrisantes venue de Sumatra, qui va entrer dans la composition de nombreux parfums, mais aussi des clous de girofle, de la cannelle… En France, la pharmacie et la parfumerie seront ainsi toujours étroitement liées avant d’être séparées officiellement en 1810 par un décret impérial.
I.M. : Après avoir été discrédités, les pouvoirs de l’odorat et des parfums sont pourtant remis en lumière aujourd’hui dans la médecine, notamment avec la perte d’odorat liée à la Covid-19.
A.L.G. : L’odorat est un sens très complexe et primitif qui renvoie à la part instinctive et même animale de l’être humain, que nos sociétés développées ont cherché à gommer. Or notre nez est souvent notre guide, il est en connexion directe avec notre cerveau et notre mémoire.
En France, René-Maurice Gattefossé, un chimiste-parfumeur lyonnais, a été le premier à réintroduire l’usage des huiles essentielles en 1936 : on lui doit l’invention du mot aromathérapie.
Depuis une vingtaine d’années, des travaux scientifiques (grâce notamment à l’imagerie) ont confirmé les liens entre l’exposition à certains parfums et des sensations de bien-être ou de stimulation du système neurovégétatif.
Et le parfum fait un retour dans les hôpitaux en chimiothérapie, en neurologie (pour redéclencher des souvenirs chez les patients atteints d’AVC ou les malades d’Alzheimer), dans les soins palliatifs, en anesthésie. C’est le processus décrit par Proust avec sa madeleine.
©V.Granger
Repères
Parfums d’histoire, du soin au bien-être.
- Musée de Saint-Antoine-l’Abbaye.
- Entrée libre tous les jours (fermé le mardi).
- À voir jusqu’au 11 décembre et à partir du 6 mars 2023.
Contacts : 04 76 36 40 68 - musees.isere.fr
Zoom
Le Vertueux
Jean-Charles Sommerard, « nez » de la maison Sevessence, pionnier de la parfumerie naturelle et biologique, a créé pour le musée de Saint-Antoine-l’Abbaye un parfum-signature aux notes d’agrumes.
Il devrait être commercialisé dans quelques mois à la boutique, mais on peut déjà le découvrir dans l’exposition.