Beauvoir-en-Royans, l’énigmatique château des dauphins

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Vue aérienne des vestiges du château de Beauvoir-en-Royans et du couvent des Carmes.
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Il y a cent ans, les ruines du château de Beauvoir-en-Royans étaient inscrites au titre des Monuments historiques. L’occasion de revenir sur l’histoire méconnue de ce qui fut, entre 1258 et 1350, la plus grande résidence delphinale.

Accroché aux premiers contreforts du Vercors sur la rive gauche de l’Isère, protégé de part et d’autre par les ravins des ruisseaux des Carmes et de Chaussère, le château de Beauvoir-en-Royans occupait au XIVe siècle une situation hautement stratégique entre Grenoble et Valence.“Il est difficile, désormais, d’imaginer la qualité et le faste de l’architecture de ce qui fut un palais”, écrivait Jean Guibal dans la préface de la première édition du Château des dauphins*.

L’architecture n’en a gardé que quelques traces : un pont-arche de 11 mètres de large permettant d’accéder au château depuis le bourg, la « grande muraille », vestige du mur d’enceinte, un donjon de plus de 30 mètres de hauteur visible à des kilomètres à la ronde, l’ogive gothique du chœur de la grande chapelle aux proportions monumentales et la large voûte d’une porte d’entrée du bourg fortifié qui en comptait trois.

 

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Les origines du site sont obscures, car aucun texte n’en fait mention avant 1251, à l’occasion d’un échange de fiefs, quand Raymond de Béranger remet au dauphin Guigues VII le château de Beauvoir-en-Royans et son mandement.

À partir de 1308, cette forteresse devient la résidence favorite des souverains du Dauphiné. Mais c’est Humbert II, le dernier d’entre eux, qui en fera un véritable palais, que les historiens du XIXe siècle qualifieront de « Versailles du Dauphiné ».

 

Un palais prestigieux

Appelé à gouverner en 1333 à la mort brutale de son frère, le dauphin Humbert II va faire du château un véritable palais en s’inspirant de son oncle, le roi de Naples chez qui il a longuement séjourné, et dans lequel il fixera son « Grand Conseil » en 1336.

Débute alors une époque de chantiers fastueux : aménagement de 20 arcades qui longent le mur de la grande galerie, construction de la grande chapelle et du couvent des frères du Mont-Carmel, démolition de trois maisons pour agrandir le verger… Les règlements édictés sous Humbert II permettent de se faire une idée de l’organisation de sa cour.

Les conseillers delphinaux et le personnel de la chancellerie côtoient nobles chevaliers et écuyers, religieux, personnel domestique, gardes, messagers, portiers… De même, les comptes de la châtellenie de Beauvoir laissent imaginer un train de vie fastueux.

 

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Une lente décrépitude

Après le transport (la cession) du Dauphiné au royaume de France en 1349, le château reste résidence delphinale, mais Humbert II, qui a pris l’habit dominicain en 1351, n’y met plus les pieds. Les bâtiments se dégradent progressivement, mettant le gros-œuvre en péril dès 1473, comme l’attestent les rapports de visite des maîtres des œuvres.

Malgré le démantèlement ordonné par Louis XI en 1471, Beauvoir sera l’arène de combats sanglants à plusieurs reprises, notamment durant les guerres de Religion. Le baron des Adrets y établit une base militaire protestante dès 1560, faisant du domaine la cible de nombreuses attaques entre catholiques et huguenots.

En 1580, ces derniers doivent se rendre, signant l’abandon définitif du château. Beauvoir tombe en ruine avant de finir en carrière à ciel ouvert pour les villages voisins. Jusqu’à ce que César Filhol le ressorte de l’ombre en obtenant son inscription au titre des Monuments historiques, le 1er septembre 1922.

*Le Château des dauphins, d’Annick Clavier, éditions Musée dauphinois, « Patrimoine en Isère », 2009. ©Coll Musée dauphinois
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Repères

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Le couvent des Carmes

L’ancien couvent des Carmes, fondé en 1343 par Humbert II et remanié au XVIIe siècle se définit aujourd’hui comme un site « art-nature ». Dans la partie la plus ancienne du bâtiment, les visiteurs découvriront l’histoire des Dauphins, la collection d’objets et d’iconographies de César Filhol qui créa là, en 1913, le premier Musée delphinal de Beauvoir ainsi que l’histoire de l’ordre du Carmel.

Plus loin, une exposition permanente est consacrée à Bob Ten Hoope, un peintre hollandais passionné du Vercors qui a longtemps vécu à Pont-en-Royans. “Nous avons 1 387 œuvres, dont un fonds d’atelier et 100 œuvres appartenant à la Fondation Bob Ten Hope des Pays-Bas”, confie Sandrine Martinet, coordinatrice du Couvent des Carmes, avant d’annoncer qu’une exposition temporaire sera consacrée à Tineke Bot, une sculptrice proche de Bob Ten Hope à partir du mois de mars 2022.

À l’extérieur la visite se poursuit dans le verger conservatoire et le jardin des vocations médiévales.
 

Informations : 04 76 38 01 01

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La porte de Ville, restaurée en 1912, fut la principale porte d’entrée du bourg qui en comptait trois.

 

Un bourg prospère

Le château et ses dépendances s’élevaient dans l’angle nord des fortifications de Beauvoir-en-Royans. L’enceinte, qui protégeait à la fois le château et le bourg, courait sur 1 125 mètres de long, encerclant une superficie de plus de 7 hectares.“Ce qui n’est pas négligeable lorsque l’on sait qu’à la même époque Grenoble et ses faubourgs n’atteignaient pas 18 hectares”, souligne Annick Clavier, archéologue et conservatrice du patrimoine au Département de l’Isère, auteure du livre de référence Le Palais des dauphins.

À l’époque d’Humbert II, la présence de la cour delphinale a dopé le développement du village, qui a compté jusqu'à 2 000 habitants : nobles, banquiers, juges, religieux, chirurgiens, artisans et paysans.


Repères

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César Filhol, artisan de la renaissance de Beauvoir

C’est César Filhol, un archéologue érudit qui a longtemps vécu à Saint-Romans (à 2 kilomètres de Beauvoir-en-Royans), dont était originaire sa mère, qui engagea les premières restaurations et obtint, de haute lutte, le classement des ruines du château de Beauvoir au titre des Monuments historiques en 1922.

Sa passion pour le patrimoine régional a également poussé ce proche d’Hippolyte Müller, le fondateur du Musée dauphinois de Grenoble, à ouvrir en 1913, dans l’ancien couvent des Carmes, le premier Musée delphinal de Beauvoir.

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Essai de restitution du château delphinal de Beauvoir-en-Royans (Eric Tasset-1994).

 

Le château des fantasmes

De la splendeur de ce château dans la première moitié du XIVe siècle, durant l’apogée de la puissance des dauphins du Viennois, il ne reste que quelques ruines et… beaucoup de fantasmes ! “Si les remparts, le donjon, les tours, les bastions grouillent d’une soldatesque de parade, les appartements princiers fourmillent de chevaliers, écuyers, gardes du corps, confesseurs, aumôniers, chapelains, physiciens, apothicaires, barbiers, chirurgiens… Il y a même, dans des bâtiments annexes, des danseuses, les joueurs d’orgue et de cornemuse, les jongleurs, les fauconniers et les gardeurs d’ours, de singes et de perroquets… Au milieu de tout ce monde pittoresque, un nain bouffon à l’habit rouge et vert fanfaronne. Il est le seul personnage autorisé à troubler l’intimité du dauphin et à venir faire, sans avis, ses pirouettes sur le tapis de Smyrne. Plus de 2 000 personnes y vivaient tumultueusement”, peut-on lire sous la plume de Roger-Louis Lachat dans un article des Affiches de Grenoble et du Dauphiné intitulé « Beauvoir, le Versailles des dauphins, ses fastes, ses secrets, ses drames », paru le 12 mai 1979.

Des recherches historiques récentes révèlent une réalité moins flamboyante. “Les comptes de l’hôtel limitaient à 60 équidés, mules, mulets et chevaux – soit environ 120 personnes – l’entourage du dauphin et de la dauphine en 1336”, témoigne l’archéologue Annick Clavier.La mort en bas âge d’André, fils unique du dauphin Humbert II, a elle aussi fait couler beaucoup d’encre. Selon la légende, son père, hystérique après avoir aperçu Galburge de Rémoulins, sa maîtresse, enlacée par un écuyer, l’aurait laissé tomber d’une fenêtre de Beauvoir.

Stendhal en a donné une autre version : “D’une fenêtre de son palais de Grenoble, Humbert II laissa tomber dans l’Isère son fils André ; il reconnut aussitôt la main de Dieu qui lui ordonnait d’abandonner le monde, et il céda ses États à Philippe le Bel”, écrivait-il dans Mémoires d’un touriste, réduisant les causes du transport du Dauphiné à ce décès tragique. La vérité est autre. Les sources écrites attestent que le jeune dauphin est décédé de maladie à Grenoble.

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