La conquête du mont Aiguille : 530 ans déjà !

Réputé imprenable, le mont Aiguille, avec en premier plan le village de Chichilianne, ne culmine pourtant qu’à 2 086 mètres d’altitude. Il fait partie des 7 merveilles du Dauphiné.
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Le 26 juin 1492, une équipe d’alpinistes de fortune emmenée par Antoine de Ville réussit, au nom du roi de France Henri VIII, la première ascension du mont Aiguille.

Réputé imprenable, le mont Aiguille, avec en premier plan le village de Chichilianne, ne culmine pourtant qu’à 2 086 mètres d’altitude. Il fait partie des 7 merveilles du Dauphiné.

 

À la fin du XVe siècle, le mont Aiguille, connu sous le nom de mont Inaccessible, éveille les fantasmes. Cette tour détachée du massif du Vercors par l’érosion, ceinte de hautes falaises verticales, est réputée imprenable.

Qu’importe, Antoine de Ville, seigneur de Dompjulien, capitaine et maître des arbalétriers et arquebusiers de Charles VIII, la gravira avec des échelles comme on prend d’assaut une forteresse. L’homme a soigneusement choisi son équipe : un tailleur de pierre aménagera les prises, un charpentier fabriquera les échelles, un escalleur du roi – ou spécialiste de l’assaut des places fortes – les dressera sur les parois. Quelques porteurs, un prédicateur et un notaire les accompagneront.

“On a parlé de naissance de l’alpinisme à propos de cette ascension. On oublie qu’Antoine de Ville était un homme de guerre. Cet épisode témoigne plutôt de la manière dont les savoirs militaires, transposés à la montagne, ont fait évoluer sa vision et ses usages”, souligne Stéphane Gal, enseignant-chercheur en histoire moderne à l’Université Grenoble Alpes.

 

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L’estampe Supereminet Invius signifie : “il se dresse, inaccessible”

 

1 500 mètres d’échafaudages

Les hommes fixent sur la paroi vertigineuse des échelles au moyen de pieux en bois, de cordes et de crocs de fer qu’ils scellent dans la roche en utilisant habilement les couloirs et les vires, dressant des échafaudages sur une hauteur de 1 500 mètres.

Le 26 juin 1492, 102 jours avant que Christophe Colomb ne découvre le nouveau monde, Antoine de Ville et ses compagnons atteignent le sommet. “Un beau pré qui demanderait 40 hommes pour le faucher avec des fleurs de couleur et des parfums divers.” Les hommes font dire la messe, érigent trois croix « visibles par tout le monde aux alentours », avant de dresser un bivouac où ils passeront une semaine ; le temps que le parlement de Grenoble, qu’Antoine de Ville a fait prévenir de son exploit, dépêche un huissier chargé d’établir un procès-verbal pour l’authentifier.

“Par crainte du danger menaçant de cette ascension quasi impossible, du péril de mort qu’on ne pourrait affronter sans tenter Dieu, attendu qu’au seul aspect de la montagne l’âme est pénétrée d’effroi”, maître Levy reste au pied de la paroi d’où il aperçoit de Ville qui lui fait le V de la victoire.

Dès lors, la troupe entreprend la descente, laissant le matériel sur place. “Et si la seconde ascension officielle n’a eu lieu qu’en 1834, on peut penser que de nombreux habitants du Trièves ont atteint le sommet avant que les échelles se détériorent”, estime Stéphane Gal.

 

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Avec l’ascension du mont Aiguille, Charles VIII veut asseoir sa souveraineté sur tout le royaume de France.

 

Qu’est-ce qui a pu pousser Charles VIII “à faire essayer si l’on pourrait monter sur cette montagne que l’on dit inaccessible” ?

Un sommet qui ne culmine qu’à 2 086 mètres d’altitude, quand les géants voisins, la Meije (3 983 mètres) ou la barre des Écrins (4 102 mètres) laissent tout le monde indifférent. “À cette époque, la notion de point culminant n’a pas la valeur dont l’investiront les alpinistes du XIXe siècle en accordant à la hauteur un rôle de stimulant essentiel. On peut opposer ces sommets du XIXe siècle aux sommets plats et étendus de la Renaissance. Dans le premier cas, c’est le lieu symbolique d’une hauteur extrême, dans le second, un territoire échappé de ce monde”, analyse Serge Briffaud dans Visions de la montagne et imaginaire politique.

C’est précisément cette petite prairie sommitale reproduisant à l’identique certaines représentations d’époque du Jardin d’Éden, et renvoyant à un imaginaire dont la portée était propagandiste, qu’a voulu conquérir Charles VIII, bien décidé à asseoir sa souveraineté sur tout le royaume.

 

Bibliographie : Histoires verticales. Les usages politiques et culturels de la montagne (XIVe-XVIIIe siècles), de Stéphane Gal, Éditions Champ Vallon 2018.

 

© B.Roche / Musée de Condé

Encart

Une fête pour les 530 ans de l’ascension

Une trentaine de bénévoles de l’association « Vie du Village et Tourisme Chichilianne mont Aiguille » prépare depuis un an une fête médiévale destinée à commémorer la première ascension du mont Aiguille, le samedi 25 et le dimanche 26 juin.

Au programme notamment, la reconstitution historique et scientifique de cette expédition dans les conditions de 1492, des expositions du musée des Troupes de montagne, de projets scientifiques liés à la montagne et de peintres contemporains, une déambulation en costume d’époque, un tournoi de tir à l’arc, une chorale du Moyen Âge, mais également un marché de producteurs et un repas médiéval.

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Repères

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En juillet 2021, on a recensé 47 tentes sur la prairie sommitale

 

Bivouac interdit sur le mont Aiguille

Face à une fréquentation accrue de la prairie sommitale du mont Aiguille, Éric Vallier, le maire de Chichilianne, a pris un arrêté interdisant le bivouac depuis le 3 janvier dernier avec le soutien des communes de Saint-Martin-de-Clelles, de Saint-Michel-les-Portes et de la communauté de communes du Trièves.

Une décision prise au vu des témoignages rapportés par les gardes de la réserve des Hauts-Plateaux du Vercors : poubelles abandonnées, arbres coupés, murets artificiels construits pour s’abriter du vent… “Et une décision exemplaire de la part des élus qui se sont emparés du dossier avant même qu’on les sollicite. Car cet espace abrite une grande diversité d’espèces présentes depuis des millénaires, qui disparaîtraient à jamais si elles venaient à être détruites”, explique Benoît Betton, conservateur de la réserve des Hauts-Plateaux du Vercors et responsable du Service biodiversité et ressources naturelles.

Cette mesure est d’autant plus importante qu’il s’agit d’une butte témoin qui n’a jamais connu d’activité pastorale. Elle fait l’objet depuis 2012 d’études scientifiques dont les conclusions pourraient être déterminantes en termes de biodiversité et d’enjeux climatiques.

Le parc accompagne cette démarche d’actions de sensibilisation et d’information du public.

 

© Gregory Loucougaray

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Échelle d’assaut, en sapin et frêne, du type de celles utilisées pour les escalades des remparts au XVe siècle. Reconstituée pour les besoins du projet scientifique Carmo-mont Aiguille (UGA, labex ITTEM). Réalisation : entreprise de charpente Durand, ferronneries Alain Faure.

 

Carmo mont Aiguille : une expérience grandeur nature

Comment restituer scientifiquement les conditions humaines, matérielles et technologiques de la première ascension du mont Aiguille en 1492 ?

Cette idée est au cœur du projet Carmo (Corps armé en montagne)-mont Aiguille 2022 réalisé au sein du laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes et porté par Stéphane Gal, enseignant chercheur en histoire moderne à l’Université Grenoble Alpes et spécialiste des sociétés en guerre et de leurs relations aux territoires de montagne du XVe au XVIIIe siècle.

“Le recours à l’archéologie expérimentale – création et expérimentation d’échelles fabriquées sur la base de modèles des XVe et XVIe siècles utilisées dans les assauts de murailles, expérimentation d’escalade avec et sans armure – associée à des mesures biomécaniques doit nous permettre de tester, au moins sur une partie du mont Aiguille, les techniques qui permirent à Antoine de Ville de se hisser jusqu’au sommet ; et donc de mieux comprendre les savoirs mobilisés, notamment le passage de l’expertise militaire sollicitée pour l’ascension d’une montagne à la ‘naissance de l’alpinisme’, et les rapports que les sociétés passées entretenaient avec la verticalité”, explique l’historien.

Au-delà de sa dimension historique, ce projet a l’ambition de fédérer un territoire en impliquant l’ensemble des acteurs locaux à travers la célébration d’un événement mémoriel et d’un patrimoine naturel et culturel exceptionnel, mais également d’établir un dialogue entre le monde scientifique, les territoires de montagne et un large public.

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