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Grenoble, ville d’art et d’histoire aux deux mille ans d’âge, est aussi un laboratoire de l’architecture moderne, riche d’une vingtaine d’édifices labellisés « patrimoine du XXe siècle. » On le découvre en famille, au fil d’une balade en tramway.
L’immeuble aux éléphants, manifeste du style Art nouveau, construit en briques de ciment.
À Grenoble, il n’y a pas que les montagnes à admirer ! Si son bâtiment le plus emblématique, la tour Perret - première tour en béton armé au monde en 1925 -, fut construit pour les regarder, la ville regorge de pépites architecturales liées à l’invention du ciment moulé, « l’or gris », que l’on découvre le plus souvent le nez en l’air.
La plus exotique se situe sur les flancs de la Bastille, avant l’entrée de Grenoble : la Casamaures, improbable palais néo-mauresque tout en arabesques et colonnades datant du milieu du XIXe siècle, est un petit chef-d’œuvre de pierres factices que sa propriétaire Christiane Guichard a réussi à sauver de la ruine. Elle se visite, mais pour l’heure, Valérie, Ludo et leurs deux garçons embarquent dans la ligne E du tramway, qui franchit l’Isère via le pont de la Porte de France pour pénétrer dans la ville moderne.
L’immeuble de Monoprix, construit en 1913 dans le style Art nouveau, est le premier bâtiment doté d’une structure poutre en béton armé à Grenoble.
De l’Art déco à la modernité
Les façades « instagramables » ne manquent pas ici. En mettant au point le ciment prompt en 1817, le Grenoblois Louis Vicat ouvrit de fait la voie à toutes sortes d’audaces ornementales et constructives.
Louis, dix ans, repère ainsi les éléphants aux longues trompes qui ornent la façade d’un immeuble de la place Victor Hugo. L’immeuble de 1903, en briques de ciment, est un vrai manifeste style Art nouveau, ce style tout en volutes et motifs végétaux qui fit florès au tournant des XIXe et XXe siècles.
Mais à Grenoble, c’est l’art déco qui prédomine, dans l’esprit de l’école du Bauhaus et de ses lignes épurées. Jeux de volumes en saillie, arrondis d’angles, ferronneries ouvragées, balcons filants… Au numéro 1 de la place Jacqueline Marval, dans le quartier Championnet, l’immeuble Le Turenne, édifié en 1933, est typique de cette écriture architecturale avec son angle en colonne cannelée surmonté d’une proue et la série d’encorbellements qui soulignent la géométrie. « C’est l’architecture qui fait décor », explique Vincent de Taillandier, directeur du bureau des guides à l’office de tourisme de Grenoble Alpes Métropole.
Grâce au béton armé et aux poutrelles métalliques, les immeubles s’élèvent, les loggias s’élargissent : toutes les audaces sont permises !
Après la Seconde Guerre mondiale, les architectes s’affranchissent encore davantage des règles pour rentrer dans la modernité lors de la construction des grands boulevards, creusés à l’emplacement des anciens remparts.
Pionnier du genre, l’immeuble Le Gambetta-Rivet (toujours sur la ligne E), construit par Servonnet, impressionne par son fronton monumental sur 31 mètres de haut et ses balcons en forme de coquillage. Non loin de là, derrière le boulevard Foch, le Mercure vaut lui aussi une photo avec sa façade en mur-rideau entièrement vitrée.
Les Trois tours, construites entre 1965 et 1968, furent longtemps les plus hautes d’Europe (100 mètres).
L’héritage des JO
Ces prouesses constructives préfigurent les transformations radicales qui seront apportées par les Jeux olympiques d’hiver de 1968. Elles se dévoilent au fil de la ligne B : l’hôtel de ville monumental et son patio (signé par Maurice Novarina et Jean Prouvé), les Trois Tours en ruches à alvéoles (qui furent longtemps les plus hautes d’Europe), la halle d’Alpexpo de Jean Prouvé, le stade de glace et ses audacieuses coques de béton, dans le parc Paul Mistral... Sans oublier le musée de Grenoble, sur la place Lavalette (près de quais de l’Isère), construit par le Groupe 6 tel un écrin autour des œuvres, qui ne fait pas ses 27 ans.
Plus au sud (sur la ligne A), il faut aussi mentionner la maison de la culture (MC2), paquebot revêtu de tôle émaillée blanche conçu par André Wogenscky en 1968, puis remanié et agrandi par Antoine Stinco à la fin du siècle dernier.
Le tout premier écoquartier
Deux cents ans après la révolution du ciment, la capitale des Alpes demeure un laboratoire de modernité : le premier écoquartier de France, la caserne de Bonne, inauguré en 2003, est un petit havre de verdure autour de son bassin.
Et en 2025, pour les cent ans de la tour Perret, on devrait pouvoir de nouveau monter à son sommet pour admirer ce patrimoine en perpétuel devenir face aux massifs : le chantier de restauration de l’édifice vient de démarrer.
Grenoble ne s’est pas faite et ne se visite pas en un jour !
© F. Vandecandelaere / P. Jayet
Le saviez-vous ?
Sur le cours Jean-Jaurès et un peu partout en ville, on croise encore à Grenoble ces tours pissotières en ciment, dites aussi « colonnes vespasiennes » — du nom de l’empereur qui rendit leur usage obligatoire à Rome au Ier siècle.
Au XIXe, les gantiers grenoblois alors en plein essor y collectaient les urines nécessaires à la préparation des peaux. De passage en 1952, l’écrivain Boris Vian y vit quant à lui « un piédestal qui donne de la noblesse à celui qui officie. »
Carnet pratique
La bonne idée
Le ticket famille à 5 euros, pour voyager ensemble toute la journée (un adulte, trois ou quatre enfants ou deux adultes avec un à trois enfants de moins de 18 ans).
Où dormir ?
Résidhome : dans une ancienne caserne
Des appartements tout équipés dans un complexe hôtelier quatre étoiles, à deux pas du centre-ville.
Où s’offrir un bon repas ?
MadaM : dans une ancienne clinique
Ambiance Belle Époque dans cette villa de style Art déco construite par un ancien ferblantier grenoblois. Le jeune chef Alexandre Zdankevicth revisite avec style les spécialités locales — poissons d’eau douce, volaille de Bresse ou plat à base de Chartreuse…
Les visites guidées
Tout l’été, de nombreuses visites originales thématiques sont proposées, comme celle du chantier test de la Tour Perret (passionnant, sur les secrets de « fabrication ».)
La Tour Perret
Emblématique de l’architecture cimentière dans le monde, cette tour d’orientation de 80 mètres de haut, conçue par Auguste Perret pour l’exposition internationale de la houille blanche et du tourisme de 1925, constitue une véritable prouesse technique et plastique avec ses claustras en motifs écailles et son escalier à vis.
Un chef-d’œuvre en péril, classé monument historique en 1998.
La Casamaures
Depuis 40 ans, Christiane Guichard s’attache à redonner sa splendeur et ses couleurs (dont le fameux « bleu outremer ») à ce palais orientaliste, construit en 1855 en ciment moulé par un entrepreneur excentrique.
Contact : accueil@lacasamaures.org
© P.Jayet
P. Jayet
Le Musée de Grenoble, conçu en 1992 comme un écrin autour des œuvres d’art qu’il abrite.