Quand Grenoble gantait le monde

À l’étranger, Grenoble est souvent connue pour ses noix, ses nouvelles technologies ou pour les Jeux olympiques. Difficile pour les jeunes générations de s’imaginer ce temps où la capitale des Alpes et une bonne partie de sa population vivaient au rythme de ses ganteries de luxe !

À l’âge d’or de cette industrie, dans les années 1900, jusqu’à 18 millions de paires de gants sortaient de ses ateliers, dont 80 % à destination de l’Angleterre, des États-Unis, de la Russie, de l’Australie…

Oubliés aussi pour la plupart, les noms des illustres maisons qui gantaient alors les élégantes – Perrin, Reynier, Terray, Vallier, Jouvin, Jay, Fischl et tant d’autres. Audrey Colonel-Coquet, une jeune thésarde de l’Université Grenoble Alpes (UGA), recense 190 entreprises et 650 gantiers aux XIX^e et XXe siècles dans son projet de Dictionnaire historique de la ganterie grenobloise.

Si d’imposants bâtiments de style néoclassique attestent de ce passé opulent, dans le quartier de l’Aigle, on peine à se représenter leur emprise sur la ville à l’époque. Plus de 32 000 personnes travaillaient alors pour la filière, sans compter les nombreuses couturières à domicile dans toute l’Isère.

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Le gant des élégantes

“La dernière exposition consacrée au gant de Grenoble, ‘La main du gantier’, remonte à 1978, à une époque où les ganteries fermaient les unes après les autres, rappelle Olivier Cogne, directeur du Musée dauphinois. Aujourd’hui, c’est la mémoire même qui disparaît. Un seul atelier-boutique, la ganterie Lesdiguières, demeure en activité à Grenoble avec Jean Strazzeri, l’un des héritiers de cette histoire.”

C’est avec Lesdiguières, au XVII^e siècle, que le gant de Grenoble acquiert ses lettres de noblesse quand Mathieu Robert reçoit le titre de gantier-parfumeur du roi sur ses recommandations. Dans la seconde moitié du XVIII^e siècle et tout au cours du suivant, de nouveaux débouchés s’ouvrent à l’étranger : l’essor est considérable. La marque de Grenoble, c’est la peau de chevreau (dont l’élevage est très présent dans les montagnes), plus fine que celle de l’agneau, que l’on travaille à Millau.

Précision de la coupe, préciosité des broderies, nuances des teintures, le gant de Grenoble habille la haute aristocratie et la bourgeoisie montante. L’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris ou l’Exposition coloniale de 1931 sont autant de vitrines sensationnelles pour des créateurs qui rivalisent de sophistication – comme en témoignent les modèles et les publicités présentés au Musée dauphinois.

L’invention en 1836 d’une main de fer et d’un système de taille par Xavier Jouvin propulsera la ganterie dans l’ère industrielle. Du milieu du XIX^e siècle jusqu’aux années 1930, Grenoble est l’un des premiers centres de production du monde en qualité et en quantité.

Après la Seconde Guerre mondiale, le déclin s’amorce inexorablement : les frontières se ferment, les usines se délocalisent, la mode n’est plus aux gants ni aux chapeaux… adieu les gants d’été, il sied d’être bronzé ! “Les grands industriels qui étaient à la pointe ont préféré retirer leurs capitaux, beaucoup au profit de l’immobilier, avance Audrey Colonel-Coquet, commissaire scientifique de l’exposition. Les ateliers artisanaux, eux, n’ont pas pu résister.”

La ganterie Lesdiguières, mais également l’Association de sauvegarde et de promotion du gant de Grenoble (ASP2G) tentent de perpétuer un savoir-faire immuable. De même, un musée de la Ganterie a vu le jour dans les ateliers de Xavier Jouvin.

Ces acteurs seront présents dans l’exposition, tout comme de jeunes créateurs, comme FST Handwear, qui s’attachent à relever le gant de Grenoble avec leurs graphismes et textiles innovants. Haut la main !

© Collection Perrin