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L’ancien palais du parlement du Dauphiné, qui a longtemps constitué à Grenoble le cœur de la cité, fait l’objet d’un ambitieux programme de requalification. Retour sur le passé.
En 1340, le dauphin Humbert II, qui veut faire du Dauphiné l’égal des principautés voisines savoyarde et provençale, crée à Grenoble un conseil delphinal doté d’importantes fonctions politiques, administratives et judiciaires. L’institution survit au transfert du Dauphiné à la France en 1349 et devient, en 1453, le troisième parlement du royaume après ceux de Paris et Toulouse.
Un statut ambigu
Relai du pouvoir royal, le parlement examine les édits et les ordonnances que lui adresse la monarchie. Mais fondant son identité sur la défense des libertés provinciales accordée à Humbert II en 1349, il n’hésite pas, au besoin, à refuser d’enregistrer les actes qui lui semblent porter atteinte aux droits du Dauphiné, les privant de toute efficacité dans son ressort. Il se signale notamment par son souci de maintenir la présomption d’allodialité des terres (qu’elles soient entièrement libres) et de défendre les droits des contribuables. Dans les périodes politiquement troubles, il devient le théâtre de débats.
Relativement prudent jusqu’à la crise finale, il s’enhardira au point de réclamer la convocation des états généraux en 1788, au lendemain des édits de Lamoignon supprimant le droit de remontrance des parlements et confiant le droit d’enregistrement à une cour plénière. Une séparation des pouvoirs qu’il jugeait comme une trahison à l’esprit du « transport » (cession du Dauphiné à la France). La création des départements et la suppression du parlement du Dauphiné, le 30 septembre 1790 mettent provisoirement fin aux activités du palais.
Une rupture de courte durée, car l’exercice judiciaire survivra aux événements de la Révolution et ce jusqu’en 2002, date du transfert de la justice à Europole.
Une cour de justice souveraine
Car le parlement est aussi et d’abord une cour de justice. Cour d’appel pour l’ensemble du ressort du Dauphiné en matière criminelle, civile et administrative, il rend également des arrêts directs. Jusqu’au XVIIIe siècle, la justice, instrument du pouvoir royal, cherche à frapper les esprits. Les châtiments infligés à ceux qui transgressent les lois sont souvent spectaculaires.
De l’amende à la peine de mort, en passant par la prison, le supplice ou les galères, l’éventail des sanctions reflète les valeurs d’une époque plus tolérante à l’égard de la violence qu’envers le vol et le sacrilège. Le moine franciscain, François de Nobilibus, condamné au bûcher pour sorcellerie en 1606, ou le contrebandier Mandrin, roué à mort en 1755, en font les frais.
Après la Révolution, de nouvelles juridictions se mettent en place et les châtiments évoluent. L’organisation de la justice, jusque-là calquée sur une société fragmentée, jugée en fonction de son statut social, s’efface au profit d’une vision qui catégorise les tribunaux en fonction des infractions commises.
Une élite financière
L’ascendant du parlement au sein de la ville tient à des attributions qui dépassent largement les cadres judiciaire et politique. Les parlementaires sont dotés de pouvoirs administratifs étendus. Ils veillent au logement des gens de guerre, à l’illumination de rues, prennent des mesures en cas d’épidémie ou de famine…
Rentrée de la cour au palais de justice de Grenoble le 3 novembre 1865 par Diodore Rahoult. Les magistrats s'avancent dans un ordre protocolaire vers les portes du palais où ils vont assister à l’audience solennelle de rentrée.
Au-delà, ils assurent la prospérité économique de Grenoble. Outre qu’ils attirent en ville une foule de plaignants et de plaideurs, les parlementaires sont aussi des propriétaires terriens. Cette noblesse de robe ramène de ses voyages les modes nouvelles et se livre une concurrence féroce pour acquérir les attributs symboliques de la puissance.
Véritable fourmilière où se sont côtoyés magistrats, procureurs, avocats – 800 au XVIIIe siècle, dans une ville de 24 000 habitants ! –, avoués, notaires, artisans et saute-ruisseaux, le palais du parlement a incarné l’identité culturelle du Dauphiné pendant près de six cents ans.
Bibliographie : Grenoble, richesses historiques du XVIe au XVIIIe siècle, d’Anne Cayol-Gerin et Marie-Thérèse Chappert, éditions Didier Richard.
© Coll-musée dauphinois
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Un chantier complexe
Le projet de requalification du palais du parlement du Dauphiné, adopté en octobre 2020 par les conseillers départementaux, est complexe du fait de la nature protégée du site, à la fois classé et inscrit au titre des Monuments historiques et de l’imbrication de deux chantiers, l’un public, l’autre privé.
Le chantier privé, d’une superficie de 4 900 m2, consiste en l’aménagement de 35 logements dans les parties les plus communes du bâtiment. Il a débuté en septembre dernier. Les travaux de restauration des toitures et des façades du palais viennent quant à eux de démarrer.
Le Département conserve les salles historiques, dont il assurera lui-même la valorisation et, pour partie, la transformation afin d’accueillir, sur 1 400 m2, le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.
Une salle d’audience richement décorée avec son plafond du XVIIe siècle. Grâce à un parcours patrimonial, les Isérois pourront se réapproprier les lieux une fois la requalification du palais achevée.
Il travaille avec l’agence H2O Architectes, Atelier FCS-Scénographie, la direction régionale des affaires culturelles et l’architecte des Bâtiments de France sur un projet destiné à définir un parcours patrimonial dans les salles emblématiques et muséographique pour le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.Les travaux proprement dits devraient débuter au second semestre 2023.
Un écrin pour le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère
Le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, né à l’initiative de la société civile en mars 1966 et installé dans l’appartement natal de Stendhal, a été départementalisé en 1994 et transféré rue Hébert à l’occasion du 50e anniversaire de la libération de Grenoble.
“Depuis une dizaine d’années, les espaces sont saturés. Une situation qui doit largement à l’augmentation de la fréquentation et à une politique d’exposition temporaire active”, explique Alice Buffet, directrice du musée, avant de préciser que l’établissement accueille 11 000 élèves par an.
Espace pédagogique difficilement accessible, salle d’exposition temporaire de 74 m2 d’autant plus exiguë que les récits et les collections s’enrichissent du fait des recherches récentes, absence de vestiaire… les conditions d’accueil ne répondent plus aux attentes actuelles.
Le Département a pris la décision d’installer ce musée dans le palais du parlement, où il occupera une position centrale, au cœur de Grenoble, avec des espaces supplémentaires. “Le transfert du musée dans ce bâtiment emblématique est une véritable opportunité pour lui donner un nouvel éclairage en résonance avec la société contemporaine et pour retravailler le lien avec le public. L’institution a une responsabilité d’autant plus grande pour transmettre cette histoire que les derniers témoins disparaissent”, conclut Alice Buffet.
© D.Vinçon & Collection Musée Dauphinois
Repères
Une architecture « hétéroclite »
Proclamée capitale provinciale en raison des activités de son parlement, Grenoble se devait de posséder un monument digne de son statut pour héberger l’institution née en 1340 dans les dépendances du palais delphinal accolé à la tour du Trésor.
La partie la plus ancienne du palais de la place Saint-André a probablement été érigée entre 1490 et 1510 ; puis agrandie à plusieurs reprises au gré d’acquisitions et d’aménagements hétéroclites jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Le remaniement réalisé entre 1890 et 1897 montre comment les architectes de l’époque se sont emparés de l’histoire de ce bâtiment vétuste et inadapté pour matérialiser l’image solennelle et majestueuse que voulait donner la IIIe République de sa justice.
© Collection musée dauphinois
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Le parlement, fer de lance de la faculté de droit de Grenoble
La présence du parlement explique en partie la précocité de la création de l’Université de Grenoble. Si les projets fastueux d’Humbert II pour dispenser des cours de droit canonique et de droit civil n’ont pas survécu au transport du Dauphiné à la France, le futur Louis XI ayant préféré créer l’université à Valence, les magistrats grenoblois ont néanmoins rétabli leur école de droit en 1542, la ville étant devenue un centre judiciaire propice à l’éclosion d’une nouvelle université, mais leurs efforts ont été ruinés par les guerres de Religion.
La médiocrité des formations dispensées par l’Université de Valence attisant leur fureur – “un avocat de Valence, longue robe et courte science”, dit-on alors –, ils ont tenté sans succès, jusqu’à la Révolution, de rétablir leur école, affirmant que la place d’une faculté de droit était auprès d’un parlement.“Il convient pour [les étudiants] de joindre à la théorie du droit la connaissance de la pratique et des usages du palais et de suivre le déroulement d’affaires juridiques devant une juridiction importante.”
En 1806, treize ans après la suppression de l’Université de Valence par la Convention, une école de droit voit le jour dans les locaux du palais. Deux ans plus tard, la création de l’Université impériale transforme en profondeur l’instruction publique. Grenoble, dotée d’une cour d’appel, devient chef-lieu d’une des 27 nouvelles académies.
À l’école de droit, devenue faculté de droit, seront bientôt adjointes les facultés de lettres puis de sciences.