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Créés en décembre 1789 et officialisés en mars 1790, les Départements étaient 83 à l’origine. L’Isère portait alors le numéro 37 et non 38, et son premier président se nommait Jean-Baptiste Aubert-Dubayet. Un homme hors du commun.
La Prise de Yorktown, par Auguste Couder (1836). On distingue à droite de George Washington un personnage penché sur une carte qui ressemble à s’y méprendre à Aubert Dubayet.
Fils d’un officier en poste en Louisiane, alors française, Jean-Baptiste-Annibal Aubert naît outre-Atlantique en 1757, mais grandit dans le Dauphiné, le berceau familial, où son père l’a envoyé très tôt faire ses études.
À 18 ans, il épouse la carrière des armes et intègre le régiment de Bourbonnais en tant que sous-lieutenant. Le 4 juillet 1776, alors qu’il est cantonné en Corse, les Américains déclarent leur indépendance. La France, humiliée par le traité de Paris de 1763, où nombre de colonies ont été cédées aux Anglais, soutient les insurgés puis, en 1778, déclare la guerre à la Grande-Bretagne.
Le régiment de Bourbonnais quitte alors l’île de Beauté et embarque le 7 avril 1780 pour Newport, près de Boston. Jeune lieutenant, Jean-Baptiste Aubert participe activement à la guerre d’indépendance de son Amérique natale et, notamment, à la bataille décisive de Yorktown en 1781 où il combat aux côtés du comte de Rochambeau, du marquis de La Fayette et de George Washington.
Entre-temps, son père décède et son oncle, le maréchal de camp Martin du Bayet, lui lègue son patrimoine, une propriété à Corenc et des terres à Sassenage sous réserve qu’il accole son patronyme au sien. De retour en France en 1784 et affecté à Metz, Jean-Baptiste Aubert, qui se nomme désormais Aubert du Bayet, se morfond en Lorraine, loin de l’exaltation de sa campagne américaine.
Finalement, il quitte l’armée en 1785 et revient en Isère où il épouse le 18 janvier 1786 Jeanne Pouchot de Soulière, la fille d’un avocat grenoblois. Il fait aussi supprimer sa particule. A-t-il eu du nez ? Car la fronde gronde dans le royaume de France. Journée des Tuiles, assemblée de Vizille, états généraux, Assemblée constituante, prise de la Bastille, abolition des privilèges, création des Départements… la Révolution est en marche.
Général intrépide et démocrate sincère
D’abord spectateur, Aubert-Dubayet crée, avec des passionnés d’idées nouvelles, une société de pensée, la Société populaire de Grenoble, dont il deviendra le président en avril 1790. Son modèle est la Révolution américaine.
Le 3 novembre 1790, alors que les Départements se sont substitués aux seigneuries de l’Ancien Régime, il est nommé à la présidence de l’assemblée des délégués de l’Isère, ce qui revient en fait à le désigner comme le premier président en exercice du conseil départemental. Le 28 août 1791, il est nommé député. Démocrate convaincu, il prône l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, mais la fuite et l’arrestation de Louis XVI à Varennes, deux mois plus tôt, ont de lourdes conséquences : la France déclare la guerre à l’Autriche et, le 10 août 1792, Paris s’enflamme. C’est la fin de la monarchie.
Âgé de 35 ans, Aubert-Dubayet quitte alors la politique pour reprendre les armes. Nommé général dans l’armée du Rhin, il défendra pendant plusieurs mois la patrie en danger et fera également un an de prison à la suite d’une accusation calomnieuse. Libéré fin 1794, il se retire une nouvelle fois en Isère, mais est vite rappelé par le général Kléber pour se battre sur le Rhin.
En janvier 1795, il est affecté auprès du général Hoche pour pacifier les régions bretonnes et vendéennes, restées monarchistes. Sa démarche se veut humaniste plutôt que guerrière. Il prône la réconciliation nationale.
En novembre, il est nommé ministre de la Guerre. Là aussi, il souhaite instaurer la paix avec les Anglais et les Autrichiens, mais se heurte à son supérieur, Lazare Carnot, qui entend poursuivre les combats. En désaccord, il démissionne le 8 février 1796.
Pour services rendus à la Nation, il est nommé ambassadeur auprès du sultan de Turquie, Selim III. Reçu avec faste à Constantinople, il a pour mission de nouer une alliance durable avec les Ottomans afin de réduire l’influence de la Grande-Bretagne et de la Russie dans la région. Malheureusement, il tombe malade et meurt en décembre 1797. Il est enterré sur les rives de la Corne d’Or.
Zoom
Grenoble vs Moirans
Sous l’Ancien Régime, le Dauphiné comptait 430 seigneuries. Avec la Révolution, tout va changer.
Le 4 août 1789, l’Assemblée constituante met fin au système féodal, entraînant un bouleversement total du paysage administratif et politique français.
Le 26 février 1790, la France est découpée en 83 départements, et la province du Dauphiné morcelée en trois entités : le Dauphiné-Oriental (les Hautes-Alpes), le Dauphiné-Midi (la Drôme) et le Dauphiné du Nord (l’Isère).
Notre département est sous-divisé en quatre districts, Grenoble, Vienne, Saint-Marcellin et La Tour-du-Pin et en 91 cantons.
Le 9 juillet, la ville de Grenoble est choisie comme chef-lieu de département, au détriment de Moirans, par 286 voix contre 267 (photo ci-dessus).
Repères
Dans l’hémicycle qui porte son nom à l’Hôtel du Département sont inventoriés les 31 présidents successifs du Département de l’Isère de 1790 à 2021.
D’Aubert-Dubayet à Jean-Pierre Barbier
Jusqu’au processus de décentralisation engagé en 1982 par Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, les Départements français ne disposaient pas d’une réelle autonomie politique et financière. C’était le préfet qui validait, par exemple, le budget.
L’Hôtel du Département de l’Isère, à Grenoble, a été construit entre 1979 et 1981 pour répondre à ce nouvel enjeu.
Symboliquement, son hémicycle, où siègent les 58 conseillers départementaux isérois, a été baptisé du nom d’Aubert-Dubayet en hommage à celui qui fut, il y a 221 ans, le premier président de l’assemblée départementale iséroise.
Depuis, 31 présidents se sont succédé à cette fonction.
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Sources : E. Maignien, Archives nationales.
© F.Pattou