Les frères Bouchayer : des Matheysins à la conquête de Grenoble

Publié le
Modifié le
Bouchayer Viallet Conduite Forcéee Royannais
  • Culture
  • Notre histoire
Chapô

En 1870, Joseph Bouchayer et Félix Viallet créent les Établissements Bouchayer et Viallet à Grenoble. Surfant sur le développement fulgurant de l’industrie hydroélectrique, leurs descendants en feront le leader mondial des conduites forcées, marquant durablement de leur empreinte le paysage…

En 1847, Joseph Bouchayer, 12 ans, quitte le foyer paternel de La Motte-d’Aveillans pour Grenoble, sans même avertir ses parents. Conscient que son père, un maître-cloutier matheysin, n’a plus de quoi nourrir ses dix enfants, le gamin entend gagner sa vie. Trois ans plus tard, il entre dans l’entreprise de chaudronnerie d’Hyppolyte Bouvier, dont il devient l’homme de confiance. En 1868, à la mort de ce dernier, il crée son propre atelier de fonderie-chaudronnerie.

Entrepreneur-né, doué de sens pratique, Joseph manque de capitaux et de relations… Félix Viallet, fils d’un entrepreneur en fortifications et futur maire de Grenoble, va les lui apporter.

Les deux hommes s’associent en 1870 pour créer les Établissements Bouchayer & Viallet (EBV), qu’ils spécialisent rapidement dans la fabrication d’équipements pour centrales hydroélectriques. Ils réalisent leur première conduite forcée en 1879 pour la société des Ciments de la Fontaine Ardente, dans le Trièves.

Meilleur hydraulicien de France

À la mort de Joseph en 1898, son fils Aimé lui succède, jouant un rôle de premier plan dans le développement des équipements hydroélectriques qui font la renommée de Grenoble, capitale de la houille blanche.

Il s’appuie sur son frère Auguste, sacré meilleur hydraulicien de France dans les années 1920, qui contribue de façon décisive au développement des conduites forcées grâce à ses inventions techniques et à l’utilisation de matériaux de plus en plus performants.

En 1917, EBV crée la Société dauphinoise d’études et de montage, une filiale qui, sous la direction de Georges Ferrand, va cumuler les records. Pendant soixante ans, l’image d’EBV sera associée à des conduites forcées de plus en plus grosses, pour des chutes toujours plus hautes, dans le monde entier.

EBV, artisan du développement urbain de Grenoble

À partir de 1900, EBV transfère ses activités de la rue de la Gare sur un terrain situé entre les berges du Drac et la rue des 120-Toises (aujourd’hui rue Ampère).

L’entreprise agrandit son domaine au fil des ans, pour atteindre près de 40 hectares en 1915, jouant un rôle majeur dans le développement urbain de Grenoble. Le boom économique du quartier attire les familles ouvrières de la vieille ville et contribue à la désertion des campagnes environnantes.

Des exilés de Pologne et d’Italie viennent grossir le flot des habitants du quartier Saint-Bruno, qui vit au rythme des usines.

Un déclin inexorable

Dans les années 1950, EDF se lance dans le marché du nucléaire au détriment de l’hydraulique. Les perspectives du groupe s’assombrissent. EBV se positionne sur des marchés de plus en plus éloignés, en Amérique du Sud, en Afrique, au Caucase, en Malaisie, au Japon et en Inde, prenant des risques élevés pour une entreprise familiale.

Le groupe rencontre de sérieuses difficultés et cède son département fabrication à Schneider, à Chalon-sur-Saône, ne conservant en son sein que la partie études, sans parvenir à assainir sa situation. En 1971, Jean Le Chatelier, un petit-fils d’Aimé Bouchayer, en tire les conséquences et reconvertit la société, lui donnant une vocation foncière et immobilière, avant de fermer définitivement le site en 1993.

La Ville et Grenoble Alpes Métropole ont progressivement racheté les terrains à partir de 1999, avant de faire de cette friche industrielle un écoquartier mêlant locaux d’activité, habitat et équipements.

 

Encart

Humeur

Une concurrence  déloyale ?

En 1912, Auguste Bouchayer crée un atelier de soudures pour les conduites forcées, qui étaient jusque là rivetées. L’allemand Mannesmann, leader européen de l’assemblage des tubes d’acier, l’accuse de contrefaçon et dépêche l’un de ses agents à Grenoble pour exiger une redevance de 5 % sur les chantiers traités selon ce procédé. Faute de quoi il installerait à Grenoble un atelier de soudure dont les prix contraindrait Bouchayer-Viallet à déposer son bilan. « Allez dire aux deux frères Mannesmann que les trois frères Bouchayer les emmerdent ! », rétorque Aimé Bouchayer. Une réponse lapidaire qui fait rapidement le tour de Grenoble et qui sera rapportée en première page du journal le Matin du 27 août 1915, sous la plume de Henry Béranger, dans un article intitulé « Notre nouvelle arme, la houille blanche ».

Corps suite

Zoom

Image

 

Quand Bouchayer-Viallet fabriquait des obus

“À une époque où l’on peut s’attendre à ce que les événements les plus graves se produisent en France, je souhaite offrir à la défense nationale les ressources industrielles des Établissements Bouchayer-Viallet”, écrit Aimé Bouchayer au préfet dès le 4 août 1914.

À la demande d’Albert Thomas, sous-secrétaire d’État de l’Artillerie et des Munitions, il transforme ses ateliers en octobre pour fabriquer des obus de 75, avant de construire, dix-huit mois plus tard, une usine de munitions à Chapareillan.

Cet effort de guerre a conduit EBV à augmenter ses effectifs, passant de 800 emplois aux postes de production à 3 000, dont 800 femmes, à la fin du conflit.

 

 

 

 

 

 

Corps fin

Repères

Image

 

Des obus au… chocolat !

“Tu as 800 ouvrières que tu renverras du jour au lendemain lorsque les hommes reviendront du front. Elles ont pris l’habitude de gagner de l’argent. Pour elles, ce sera un coup dur. Crée une usine pour les occuper”, conseille un jour de 1916 le sous-secrétaire d’État aux Fabrications de guerre, Louis Loucheur, à son ami Aimé Bouchayer.

Ce dernier rachète la petite chocolaterie Dauphin de Grenoble puis, ayant trouvé aux États-Unis un client prêt à lui acheter 10 tonnes de chocolat par jour pendant dix ans, il la délocalise rue Ampère dans une usine ultra-moderne.

Las, juste après l’armistice, l’Américain se dédie, plongeant l’entreprise dans une situation financière délicate.En 1920, Aimé Bouchayer vend l’usine à Félix Cartier-Millon, un fils du créateur de Lustucru, qui décide de la rebaptiser Marquise. “Qui a trouvé ce nom stupide ?”, l’interroge son épouse. “C’est moi”, répond-il. Cémoi, le nom est resté.

4
minutes de votre temps
A- A+
Publié le
Modifié le