Les frères Pâris : de Moirans à la cour de Versailles

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On connaît les Quatre Mousquetaires, les frères Dalton, les Beatles. Beaucoup moins les frères Pâris. De leur Moirans natal à la cour de Versailles, ces quatre financiers se sont forgé un destin hors du commun, s’attirant les faveurs du Roi-Soleil puis de son arrière-petit-fils, Louis XV.

Antoine Pâris, Claude Pâris la Montagne, Joseph Pâris-Duverney et Jean Pâris de Montmartel ont vu le jour à Moirans dans l’auberge familiale. Grâce à la situation privilégiée de son affaire sur la route royale de Lyon à Grenoble et sur le passage des troupes se rendant en Savoie et en Italie, leur père, Jean, a fait fortune. Au point de permettre à ses deux aînés de poursuivre leurs études et de prêter leur serment d’avocat au parlement de Grenoble.


La conquête du pouvoir

Les garçons étaient promis à une paisible destinée de notables provinciaux si la providence ne s’en était mêlée, sous les traits de Jean Jacquier. En janvier 1690, le tout nouveau directeur général du service des vivres d’Italie est aux abois. Les stocks de denrées destinés aux armées en guerre contre le duc de Savoie sont épuisés.

C’est alors qu’il convoque Jean Pâris, dont la réputation lui est parvenue. Assistant à l’entretien, ses deux fils aînés, Antoine et Claude, saisissent instantanément le profit qu’ils peuvent tirer de la situation, promettant à Jacquier de l’approvisionner en grains. Mieux, pour acheminer les vivres jusqu’à l’entrepôt général, ils s’engagent à développer la batellerie et font abattre, dans les montagnes de Sassenage, le bois nécessaire à la construction de 200 barges. Pour les hâler, ils acquièrent 600 paires de bœufs. Reste à rendre l’Isère gelée navigable. “Pour y parvenir, nous fîmes marcher les bateaux par convois avec 100 hommes à leur tête qui rompaient continuellement les glaces sur les bords de la rivière”, écrit Claude dans ses Mémoires. En avril 1691, ils réussissent le tour de force de ravitailler les troupes françaises encerclées par celles du duc de Savoie à Pignerol, durant la guerre de la ligue d’Augsbourg.

Reconnaissante, l’armée intègre Antoine et Claude dans le service des Vivres, où Joseph et Jean les rejoindront en 1706. Ensemble, ils créent un petit empire, devenant les munitionnaires les plus importants entre Grenoble, Genève, Lyon et Arles. Séduit par leurs méthodes, Louis XIV en fait les plus grands fournisseurs de son armée, les hissant au rang des élites les plus en vue du royaume. Mais on n’atteint pas de tels sommets sans susciter la jalousie ! La mort du Roi-Soleil, en 1715, met provisoirement frein à leur prodigieuse ascension. D’autant que les caisses du royaume sont vides.


Dans l’intimité de Louis XV

Le régent, Philippe d’Orléans, fait alors appel à l’économiste écossais, John Law, pour créer une Banque d’État. Les Pâris, très critiques envers ce projet, sont exilés en Dauphiné en juin 1720. Mais rappelés aux affaires six mois plus tard, après la banqueroute retentissante du financier. Jusqu’en 1726, “ils ont la cour à leurs pieds”, écrira le duc de Saint-Simon. Antoine, conseiller d’État, Joseph, conseiller du duc de Bourbon, alors Premier ministre de Louis XV, et Jean, Garde du Trésor royal, concentrent entre leurs mains des pouvoirs exorbitants, contrôlant les ministères des Finances, de la Guerre et des Affaires étrangères, tandis que Claude, las de la vie parisienne, regagne Moirans pour gérer les affaires familiales.

Mais la disgrâce du duc de Bourbon entraînera leur chute et, une nouvelle fois, leur exil ; Joseph étant même embastillé pendant dix-huit mois. Ils reviendront néanmoins sur le devant de la scène, qu’ils ne quitteront plus, à partir de 1745, aidés en cela par la nouvelle maîtresse de Louis XV, la Pompadour, filleule de… Jean Pâris de Montmartel.

En 1758, l’abbé de Bernis, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, écrira à propos de ce dernier, qui est aussi la deuxième fortune du royaume après Louis XV : “Nous sommes dépendants de Montmartel… Passez-vous de cet homme et la banqueroute s’ensuivra.”

 

Repères

Pour aller plus loin : Joseph Pâris-Duverney, financier d’État : 1684-1690, de Marc Cheynet de Beaupré, Honoré Champion Éditeur.  

  • Tome 1 Les Sentiers du pouvoir (1684-1720)
  • Tome 2 La Vertu des maîtresses royales (1720-1770)

 

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L’auberge La Montagne

L’auberge « La Montagne de Saint-François » a été construite à Moirans entre 1614 et 1617 par Jehan Trenonay, arrière-grand-père des frères Pâris, dans un ancien clos des Cordeliers, puis agrandie par son fils Jacques, avant qu’il ne la donne en dot à sa fille Justine, lors de son mariage avec Jean Pâris, en 1665.

En 1720, lorsqu’il revient en Dauphiné, Claude Pâris entreprend de gros travaux pour créer sa « grande Maison », et fait aménager un jardin à la française, le futur parc de la Grille. La maison natale des Pâris est restée entre leurs mains jusqu’en 1766. En 1797, la famille de La Motte en a fait un hôtel particulier.

La propriété, acquise par la commune en 1953, héberge aujourd’hui les services communaux et le CCAS. L’ancienne auberge, située au rez-de-chaussée, à l’extrémité nord-est du bâtiment, est encore visible. Les trois pièces de 1614, la cave voûtée, la cuisine et le puits, ont fait l’objet d’une mise en valeur patrimoniale en 2011. (voir ci-dessous).

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Le four à pain
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La cuisine

 

Corps fin
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Portrait de Joseph Pâris

Un mariage qui fait du bruit

Ces financiers de génie se sont taillé un empire qu’ils ont cherché à préserver en veillant jalousement sur leurs alliances. Ainsi l’aîné Antoine donne-t-il sa fille et unique héritière en mariage à son propre frère, Joseph. L’affaire fait grand bruit, car Louis XV se charge en personne d’obtenir la dispense pontificale.“Nous savons qu’ils ont des raisons de famille très forte de désirer l’accomplissement de ce dessein qui peut seul prévenir un grand dérangement dans leurs affaires domestiques et même nous priver d’une partie des avantages que nous tirons des services que leur union les met en état de nous rendre…”, écrit-il au Saint-Père.

Pour autant, à la mort du dernier des frères Pâris, Joseph, en 1786, tout le monde s’étonne de la modestie son legs. Tant et si bien que de nombreux chercheurs de trésor ont fouillé de fond en comble les bâtiments et fondations de l’École militaire, qu’il avait créée en 1751, et dans laquelle il est inhumé…

En vain ! “Le vainqueur de John Law n’était pas un homme ordinaire…Montagnard, soldat, fournisseur, il eut toute sa vie l’air d’un grand paysan, sauvage et militaire. Au fond, il aimait les affaires pour les affaires bien plus que pour l’argent”, déclarait à son sujet l’historien Jules Michelet.

 

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John Law, l’inventeur de la planche à billets

À la mort de Louis XIV, les finances du royaume sont dans le rouge. L’État, qui s’est endetté pour financer les guerres du Roi-Soleil, doit désormais 3,5 milliards de livres, soit dix fois ses recettes annuelles. Pour refinancer la dette, le régent, Philippe d’Orléans, fait appel au financier John Law et l’autorise, en 1716, à créer une banque d’État qui émet pour la première fois des billets en papier-monnaie qu’elle s’engage à rembourser en or ou argent, à leur taux nominal.

Soucieux d’étendre ses activités, John Law crée la Compagnie des Indes pour mettre en valeur la Louisiane, l’Inde et la Chine. Celle-là fusionne avec la Banque en 1720. Au terme d’une spéculation effrénée, le cours des actions s’envole. Mais les réserves d’or et d’argent de la banque sont très inférieures à la valeur des billets émis. Le 17 juillet 1720, en prenant leurs bénéfices, les gros investisseurs provoquent la panique. Le système s’effondre et John Law prend la fuite le 20 décembre 1720

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