- Grandeur nature
Corbeaux, corneilles, pies… Mal perçus depuis des siècles, les corvidés souffrent de préjugés tenaces. Associés à la mort et aux superstitions, ces oiseaux jouent pourtant un rôle écologique indispensable et possèdent une intelligence fascinante. Rencontre.
La corneille noire, toute noire avec des plumes à la base de son bec, est le corvidé le plus commun. Très intelligente, elle s’adapte bien aux activités humaines, mais est souvent jugée nuisible, en particulier pour les cultures.
Corbeaux et corneilles, les plus connus des corvidés, traînent une mauvaise réputation depuis le Moyen Âge. Leur cri rauque et leur plumage noir, associés à la mort et aux mauvais augures, ont nourri les superstitions.
Pendant les épidémies et les guerres, la population craignait ces « oiseaux de malheur » qui se nourrissaient des cadavres… souvent en commençant par les yeux. Une image horrifiante renforcée plus tard par des œuvres littéraires ou cinématographiques, comme le film Les Oiseaux, d’Alfred Hitchcock.
Nettoyeurs de la nature
En réalité, les corvidés sont des oiseaux très utiles. Omnivores « opportunistes », ils ont un régime alimentaire très varié (insectes, vers de terre, baies, graines, charognes, fruits, amphibiens…). En consommant des charognes, ils jouent le rôle de nettoyeurs de la nature et limitent ainsi la propagation de maladies. Certains, comme la corneille, aident à réguler les populations de petits rongeurs.
D’autres, comme le geai des chênes, contribuent à la régénération des forêts en enterrant des glands et des graines pour l’hiver. Les cachettes oubliées donnent naissance à de nouveaux arbres.
Sur les 130 espèces réparties dans le monde, les corvidés en comptent une dizaine en France, dont neuf en Isère (voir encadré). Parmi elles, deux sont classées dans notre département comme « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » et peuvent être chassés toute l’année : le corbeau freux et la corneille noire.
Chaque année en France, plus de 1 million de corvidés sont tués, notamment pour protéger les cultures. Alignées, les dépouilles de ces oiseaux pourraient relier Grenoble à Paris. Pourtant, leur population reste stable, soulignant leur incroyable capacité d’adaptation.
Malins comme des singes
Les études révèlent que la cognition des corvidés peut rivaliser avec celle des grands singes. Observés dans la nature ou en laboratoire, ils sont capables d’utiliser des outils, de coopérer en groupe, de résoudre des problèmes complexes pour accéder à de la nourriture.
Au Puy du Fou, des corvidés ont été éduqués au ramassage des mégots dans le parc, en échange de graines. Dans certaines villes, des corneilles lâchent des noix sur des routes pour qu’elles soient écrasées par les voitures avant de les récupérer au feu rouge. Cette ingéniosité démontre non seulement leur capacité d’apprentissage, mais aussi leur sens aigu de l’observation.
Leur mémoire est également exceptionnelle : les corbeaux reconnaissent des congénères qu’ils n’ont pas rencontrés depuis des années, témoignant de leur intelligence sociale développée. La pie bavarde est le seul oiseau à avoir réussi le test du miroir de Gallup : elle comprend que c’est elle qu’elle voit dans le miroir et pas un semblable.
Leur intelligence suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs, qui appellent à la tolérance et à une meilleure cohabitation avec ces oiseaux mal-aimés. Il est temps de valoriser les corvidés pour ce qu’ils sont : des acteurs essentiels de la nature, dotés d’une intelligence hors du commun.
Plus d’informations : ladel.fr
Source : article rédigé avec la collaboration de Frédéric Jiguet, ornithologue, professeur-chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, et de la Ligue de protection des oiseaux Auvergne-Rhône-Alpes.
Repères :
Neuf espèces en Isère
- Les plus communs, présents en ville comme à la campagne : corneille, corbeau freux, pie bavarde et choucas des tours.
- Les forestiers : casse-noix, moucheté et geai des chênes.
- Les montagnards : grand corbeau, crave à bec rouge et chocard à bec jaune.
Zoom
Les corvidés : de grosses têtes !
Les corvidés sont parmi les oiseaux les plus intelligents, avec un cerveau volumineux et riche en neurones. Le cerveau d’un corbeau représente 2 % de son poids, un ratio similaire à celui des humains.
Le grand corbeau a plus de 2 milliards de neurones pour un organe de seulement 14 grammes, ce qui le place au niveau des mammifères.
Adobe Stock
Les chocards à bec jaune, aussi appelés à tort choucas, vivent en montagne. Ce sont des oiseaux intelligents et sociaux, capables de chasser aigles et vautours pour protéger leur groupe.Adobe Stock
Le corbeau freux, souvent confondu avec la corneille noire, a un bec gris blanchâtre et des reflets violets ou bleus sur son plumage. Il est très bavard et niche en colonie.Adobe Stock
La corneille noire, toute noire avec des plumes à la base de son bec, est le corvidé le plus commun. Très intelligente, elle s’adapte bien aux activités humaines, mais est souvent jugée nuisible, en particulier pour les cultures.Adobe Stock
La pie bavarde se distingue par son plumage noir et blanc, avec des reflets irisés sur les ailes et la queue. Elle a la réputation d’être voleuse et attirée par les objets brillants, mais des études ont prouvé le contraire.Adobe Stock
Le casse-noix moucheté a un bec robuste et un plumage tacheté de blanc, d’où son nom. Grâce à sa mémoire exceptionnelle, il se souvient de milliers de cachettes où il stocke sa nourriture.Adobe Stock
Le geai des chênes, le plus coloré des corvidés, est un excellent imitateur, capable de reproduire des chants d’oiseaux et même des voix humaines. Son cri d’alerte prévient les autres animaux du danger. Une vraie sentinelle !