L'Isère, terre de gastronomie

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Produits du terroir : noix, raisins, fromages, etc.
  • Gastronomie
Chapô

Si vous demandez à un Isérois quelles sont les spécialités de son terroir, il vous citera immanquablement la noix, la Chartreuse, la raviole, le saint-marcellin ou le bleu du Vercors-Sassenage…

Ces vedettes de notre table reflètent toute la richesse de la gastronomie locale. Du nord au sud du département, voyage gustatif à travers des siècles de tradition culinaire.

 

Pour promouvoir la gastronomie locale, autant faire appel à l’un des plus grands ambassadeurs de la cuisine française du XXe siècle : "Le Dauphiné est un véritable paradis de la gastronomie, affirme ainsi Curnonsky dans son livre sur « Les Recettes de France » (1927) : son admirable cuisine réalise un régal unique de finesse, de ruse charmante et de haute courtoisie (…) cette grâce légère, qui sont la marque même du goût français."

Un siècle plus tôt, en 1825, Jean-Anthelme Brillat-Savarin, père de la gastronomie, affirmait déjà dans sa « Physionomie du goût » que « les meilleures liqueurs de France se fabriquent en Dauphiné. » Il faut dire que la toute première distillerie de France fut créée à La Côte-Saint- André en 1705 par Barthélemy Rocher, botaniste amateur. Casanova, qui s’y connaissait aussi en bonne chère, évoque dans ses Mémoires le ratafia de cerises servi lors de son séjour grenoblois, qu’il compare au « nectar des dieux de l’Olympe. »

En 1760 et jusqu’à la Révolution, la capitale des Alpes, qui est surtout une ville de garnison et de parlementaires, est d’ailleurs bien connue de ces messieurs pour… sa dolce vita ! "Nous mangeons ici l’excellent fromage de Sassenage et les meilleures reinettes et calvilles de France (…) ", s’enflamme un jeune officier breton (Théophile Malo Corret de La Tour d’Auvergne), contemporain du capitaine Choderlos de Laclos – alors en poste dans la région.

 

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Le vignoble de la famille Meunier, viticulteurs depuis six générations, dans l’IGP Balmes dauphinoises.

 

Des vins prisés depuis l’Antiquité

L’historien viennois Nicolas Chorier, auteur de la première « Histoire générale du Dauphiné » (1661), admirait quant à lui « ce pays si abondant en vin ». Les vignobles alors s’étagent jusqu’à neuf cents voire mille mètres d’altitude du nord au sud. Les plus prisés depuis l’Antiquité sont ceux produits sur les collines viennoises.

Transportés jusqu’à Rome dans des amphores poissées qui ajoutent à leur note naturelle un parfum de résine brûlée, ces vins gorgés de soleil se vendent à prix d’or dans tout l’Empire. Plus acides pour les palais délicats et supportant moins le voyage, les « vins d’en-haut » n’en sont pas moins très appréciés.

Curnonsky, encore lui, signale « les crus du château Bayard au parfum de violette », les blancs « parfumés et légers » du Sud Grésivaudan (autour de Saint-Marcellin) ou encore ceux, « fruités, fort agréables et naturellement pétillants », de La Côte-Saint-André. Si le phylloxera a ravagé les vignobles au début du XXe siècle, de jeunes vignerons passionnés s’attachent aujourd’hui à faire renaître les anciens cépages et à replanter les coteaux.

 

Gratins et ravioles

À partir de la fin du XIXe siècle, la culture de la noix va remplacer celle de la vigne. Et le fameux gratin dauphinois va peu à peu voler la vedette à toutes les autres spécialités locales. La pomme de terre, « tartifle » en patois, n’a pourtant pas attendu Parmentier pour faire recette dans les marmites montagnardes : dès 1500, le tubercule venu d’Amérique, importé d’Allemagne, est découpé en fines tranches qui mijotent ensuite dans le lait dans une terrine frottée d’une gousse d’ail. On ajoute de la crème les jours de fête (mais jamais d’œufs ni de fromage !).

En altitude, isolées pendant les longs mois d’hiver, les populations de fait ont appris depuis des siècles à tirer parti de ce qu’elles ont sous la main. On cuisine les tourtes d’herbes avec les verdures du jardin et l’on se régale des truites et écrevisses des rivières et lacs. Dans le sud de l’Isère, en Matheysine, en Trièves ou dans le Royans, chacun fait ses ravioles. Les recettes varient mais la base est la même : mélanger du fromage, des œufs durs, du persil, rouler dans la farine (raviola), puis jeter dans l’eau bouillante salée et beurrée pendant 1 min 30.

 

Le safran, symbole de raffinement

Dans les grandes maisons comme à la cour d’Humbert II, la cuisine est beaucoup moins rustique : les viandes, rôties, bouillies ou la broche, trônent en majesté. Élevé à la cour de Naples, le dernier dauphin, connu pour son coup de fourchette et son palais délicat, introduit la mode des épices et notamment du safran : au XVe siècle, c’est le condiment le plus apprécié dans nos contrées !

Au XIXe siècle, Stendhal évoquera avec gourmandise les petits pains au safran qu’il achetait rue Saint-Laurent en allant chez une tante. Quant à la truffe du Bas Dauphiné, alors plus réputée que celle du Périgord, elle parfume bouillons, terrines et ragoûts.

 

À chaque montagne son fromage

Bûche du Vercors, fromage de Chambaran, de Saint-Marcellin, tomes de chèvre, de Gresse ou de Chartreuse… Depuis des temps immémoriaux, faute de pouvoir stocker et transporter le lait, les éleveurs de montagne ont appris à le transformer en fromage.

Bien avant sa célèbre Chartreuse verte, dès le XIIe siècle, le monastère de la Grande Chartreuse produisait ainsi une tomme très prisée : en 1565, on sait qu’elle se négociait deux fois plus cher que les autres tommes de Chartreuse sur le marché. Humbert II préférait quant à lui celle de la châtellenie de l’Oisans : il exigeait que les redevances soient versées sous forme de fromage !

Les grands de ce monde contribuèrent d’ailleurs bien souvent à promouvoir ces productions fermières. Grâce à Louis XI, la tomme de Saint-Marcellin se fit ainsi un nom à la table royale après que deux bûcherons lui aient fait goûter ce palet bien crémeux en 1461. Depuis, le lait de vache a remplacé le lait de chèvre, mais le principe de fabrication est resté le même, authentifié par une IGP (Indication Géographique Protégée). Idem pour le bleu du Vercors-Sassenage, estampillé AOP (Appelation d’Origine Protégée).

Au XVIIe siècle, ce bleu persillé, préparé à partir de lait de vache et de brebis additionné d’un peu de lait de chèvre, faisait déjà la fierté des gens du pays, « d’un goût si délicat et si exquis qu’ils font aujourd’hui les honneurs des tables des plus grands seigneurs ». Abandonnée à la fin du XIXe, la production reprit avec la création de la première coopérative de Villard-de-Lans en 1924.

 

Fruits confits et brioche de Bourgoin

Aux XVe et XVIe siècles, les confitures sèches ou fruits confits des Grenoblois sont réputés dans toute la France. Au XIXe, Stendhal n’oubliera jamais le goût des noix confites dont il se régalait enfant, lors de ses visites à la comtesse de Montmaur – la vieille dame aurait servi de modèle à Choderlos de Laclos pour la sulfureuse héroïne de ses Liaisons dangereuses dans ses belles années. La production nucicole est alors en plein essor dans la région : en 1883, le confiseur ardéchois Léopold Durand fit fortune avec sa « Noix de Grenoble », un cerneau enrobé de caramel.

Au Moyen Âge, Bourgoin-Jallieu est surtout réputé pour sa brioche : ce gâteau en forme de couronne, composé de farine, de levain, de lait, de miel et d’œufs, fut créé en 1449 pour la visite du dauphin, le futur roi Louis XI. Au XIXe, un boulanger eut l’idée de rajouter des grains de sucre pralinés et des dragées.

Aujourd’hui après une longue éclipse, de nombreux chefs s’attachent à remettre à l’honneur ces produits et recettes ancestrales qui ont le goût de nos paysages. Il était temps !  

 

Sources : René Fontvieille, « La Cuisine dauphinoise à travers les siècles » (Terre & mer, 1983) Claude Muller, « Cuisine traditionnelle des Alpes ».
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Deux recettes de Claude Muller

Claude Muller, journaliste et historien passionné par l’histoire du Dauphiné.

 

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Les vraies pommes dauphines (pour 6 gourmands)

On connaît tous le gratin dauphinois. Mais ces croquettes à base de pomme de terre et de pâte à chou feront tout autant le bonheur des petits et grands !

La recette aurait été inventée en 1864 pour faire patienter les convives en attendant le dauphin (l’héritier du roi de France), qui avait la fâcheuse habitude d’arriver en retard à table.
 

  • Cuire dans l’eau salée 1 kg de pommes de terre épluchées pendant 30 min.
  • Égoutter, écraser en purée, ajouter 30 g. de beurre, une pincée de noix de muscade et une pincée de sel.
  • Porter à ébullition 25 cl d’eau salée avec 50 g. de beurre.
  • Hors du feu, ajouter 200 g. de farine, travailler la pâte obtenue et faire chauffer pour qu’elle épaississe.
  • Ajouter 4 œufs entiers, un à un, et enfin toute la purée.
  • Mélanger le tout et faire de petites boules que l’on fera frire à l’huile.
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La marmite de Lesdiguières (pour 50 convives)

Il ne fallait pas en promettre à l’ancien gouverneur du Dauphiné, dernier connétable de France. Ce plat gargantuesque et roboratif, servi au XVIe siècle pour un repas de noces auquel il assistait, convoque toutes les viandes de la création.

Garnir une marmite bien ventrue d’une trentaine de tranches de lard bien serrées sur lesquelles on déposera 40 pieds de porc, 10 paquets de couenne fraîche, 2 têtes de veau blanchies et ficelées, 15 kg de morceaux de bœuf finement lardés. Saler et poivrer.
 

  • Disposer des couches de légumes entre chaque couche de viande : 80 carottes, 50 tomates, 12 oignons piqués de clous de girofle, 3 têtes d’ail, 15 feuilles de laurier, 1 bouquet de persil. Saupoudrer de noix de muscade.
  • Arroser de 10 bouteilles de rouge et 6 de blanc et faire mijoter à couvert et à feux doux pendant 4 heures.
  • Retirer l’ail, les oignons, le laurier, le persil et ajouter 8 belles volailles bouillies à part avec des herbes aromatiques, 5 kg de champignons, 2 pots de coulis de tomates, 1 pot de glace de viande et 1 litre de Cognac versé en deux ou trois fois au cours de la seconde cuisson (compter une bonne heure).
  • Disposer dans des plats et arroser de jus tamisé.
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