- Économie
Réservoir de biodiversité et de fraîcheur pour les uns, ressource économique pour les autres, la forêt iséroise se trouve au cœur de nombreux enjeux sociétaux avec le changement climatique.
Classée « forêt d’exception », la forêt de Chartreuse est un lieu de détente et de ressourcement… où l’on récolte aussi le premier bois AOC de France.
Le parfum de la résine, le chant des pinsons, le vert mordoré des feuillages… On se sent tout de suite mieux au contact de la forêt.“Les effets bénéfiques des arbres sur notre santé physique, psychique et émotionnelle sont scientifiquement prouvés”, assure Anne-Sophie Ayache, sylvothérapeute à Sainte-Marie-du-Mont, qui propose des « bains de forêt » collectifs en Chartreuse. Non contents de nous procurer de la fraîcheur et un air enrichi en oxygène, les arbres sont des trésors de bienfaits pour l’humanité.
Dans un département boisé sur près de 40 % de sa surface, sillonné par 3 650 kilomètres de sentiers de randonnée, les Isérois ont massivement répondu à cet « appel de la forêt » au sortir des confinements successifs. À pied, à VTT, à cheval ou en engins motorisés, cette ruée a parfois perturbé l’équilibre fragile des lieux. “Un piétinement répété compacte les sols et empêche la repousse, avertit Jean-Yves Bouvet, directeur de l’Office national des forêts en Isère. Pour sensibiliser et orienter le public, plusieurs sites ont été identifiés avec le Département de l’Isère pour y favoriser la pratique de différentes activités.”
Une forêt cultivée et morcelée
Car la forêt, espace de loisirs à ciel ouvert pour les humains, réservoir de biodiversité et refuge nourricier pour la faune sauvage, est aussi un lieu de production et une ressource créatrice d’emplois essentielle pour se chauffer, se loger.
“Alors que la demande de bois n’a jamais été aussi forte, la filière peine à recruter et nos scieries ne sont pas en capacité de produire les quantités demandées”, déplore Albert Raymond, président de l’Union des forestiers privés de l’Isère (1 400 adhérents). Il veut aussi tordre le cou aux fausses informations : “Non, la forêt n’est pas surexploitée : elle croît de 30 % chaque année. Et non, les prix ne s’envolent pas à cause des Chinois : les exportations sont stables depuis 2018”
L’autre idée répandue, c’est que la forêt appartient à tout le monde. Ils sont pourtant 93 000 propriétaires en Isère à en détenir un morceau. Pour inciter au regroupement des parcelles et faciliter leur gestion, le Département prend en charge 80 % des frais notariés. Grâce à une bourse d’échanges sur Internet « Ma forêt bouge », les propriétaires peuvent visualiser leurs terrains et choisir de les vendre ou de les gérer. “ Certains ne savent même plus où sont leurs parcelles. Or les forêts abandonnées sont sujettes aux épidémies. Les épicéas, fragilisés par le réchauffement climatique, sont attaqués par le scolyte. Ces bois sont ensuite déclassés en bois de palette. Et à terme, la seule solution, ce sera la coupe rase”, alerte Jean-Yves Bouvet.
Si l’impact reste encore peu visible, comparé au nord-est de la France, le dépérissement est pour lui bien réel sur certaines zones de Belledonne et de Chartreuse. Un peu partout en Isère, notamment dans la partie sud, on teste des essences méridionales, plus résistantes à la chaleur, comme le cèdre. On aide les arbres à grimper un peu plus vite vers la fraîcheur – ce qu’ils font aussi d’eux-mêmes dans les forêts alpines, mais au rythme de 60 centimètres tous les dix ans.
Pendant ce temps, autre gros fléau pour les forestiers, les cervidés prolifèrent et dévorent les jeunes pousses… empêchant le réensemencement naturel. En 2018, un plan de chasse national, décliné au niveau régional, a été adopté par l’État pour arriver à réguler la présence de ce gibier trop abondant et, du coup, affamé. “En Isère, plusieurs espaces forestiers, notamment dans le Vercors, la Chartreuse et Belledonne, ont été classés en zone rouge d’alerte maximum, prévient Patrice Sibut, directeur de la Fédération départementale de la chasse. Nous avons l’obligation de les chasser.”
Dans le cadre de son plan « Un arbre, un habitant en Isère », le Département prévoit d’investir 11,5 millions d’euros sur six ans pour replanter des essences adaptées en forêt. Au cœur de nombreux enjeux sociétaux parfois contradictoires, la forêt n’a jamais été aussi essentielle à l’humain.
À écouter en podcast : Henri Moulin, chargé de sylviculture à l’ONF.