Grenoble-Villard-de-Lans : une ligne de tramway éphémère

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Construite trop tard, démoli trop tôt, la GVL a connu un destin trop bref non sans marquer durablement les mémoires.
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Covoiturage, extension des lignes de tramway, projets de RER métropolitains… les transports en commun sont au cœur des préoccupations des collectivités locales. Une question récurrente depuis la fin du XIXe siècle. Exemple avec la ligne de tramway Grenoble-Villard-de-Lans, ouverte en 1920.

Construite trop tard, démoli trop tôt, la GVL a connu un destin trop bref non sans marquer durablement les mémoires.

 

Le 26 juin 1920, les habitants du plateau du Vercors se pressent à la gare de Villard-de-Lans pour assister à l’arrivée du tramway en provenance de Grenoble. Le convoi ministériel entre en gare à 12 h 47 après avoir parcouru les 39,7 km de la ligne en deux heures cinquante, contre le double en diligence, à une vitesse maximale de 19 km/h. 

Un banquet présidé par André Honnorat, ministre de l’Instruction publique, et Antoine Borrel, sous-secrétaire d’État aux Travaux publics, réunit plusieurs centaines de convives : parlementaires, magistrats, universitaires… “Ce fut un enchantement. On éprouvait tant de plaisir à voir la joie discrète du maire de Villard-de-Lans, Jules Masson, symbolisant celle des populations qui, après tant d’années d’attente, voyaient enfin le premier train monter de Grenoble dans leur massif des Quatre-Montagnes”, écrivait un chroniqueur dans Le Petit Dauphinois au lendemain de l’inauguration. 

 

Trente-trois ans de gestation 

De fait, les Vertacomicoriens attendaient cette inauguration depuis… trente-trois ans ! Programmée dès 1887 pour desservir la banlieue grenobloise, la GVL devait également désenclaver le plateau afin de favoriser son développement agricole et touristique. Les querelles de clocher, la guerre des tracés, le conflit mondial et les problèmes financiers ont considérablement retardé son ouverture.

Un premier chantier, lancé en novembre 1909, s’achève par l’inauguration, le 23 avril 1911, d’un tronçon de ligne reliant Grenoble à Seyssins. Le succès est immédiat et, dès le 1er mai, la Société grenobloise de tramways électriques assure neuf allers-retours quotidiens. 

Mais des difficultés inattendues surgissent en amont de La Tour-Sans-Venin, où il faut réaliser d’énormes travaux de drainage pour parer aux glissements de terrain. 

 

La guerre interrompt le chantier 

Après de nombreuses déconvenues, les travaux d’infrastructure touchent à leur fin à Saint-Nizier-du-Moucherotte en juillet 1914. Las, la guerre interrompt le chantier et les trois motrices sont réquisitionnées par l’armée pour le transport des blessés de guerre dans les Vosges. 

Les travaux reprennent par intermittence, en raison de la pénurie d’hommes et de matériaux, avec le renfort d’ouvriers italiens puis de prisonniers allemands jusqu’à ce que le ministre de la Guerre, Georges Clemenceau, ordonne en 1918, de démonter les rails pour alimenter les fonderies à canons. 

Il faudra toute la force de persuasion du maire de Seyssinet-Pariset, Aimé Bouchayer, un ami du ministre de l’Armement, Louis Loucheur, pour sauver la ligne. 

 

Une ligne concrétisée trop tard ? 

Dès le 1er juillet 1920, des machines bruyantes et cahotantes desservent 46 arrêts entre le cours Lafontaine à Grenoble et la gare de Villard-de-Lans, à raison de trois allers-retours quotidiens en hiver (quatre en été), emportant avec elles passagers – villageois, touristes ou Grenoblois avides de randonnée et de ski – et marchandises : charbon, grumes de bois, lait, bestiaux. 

Mais la modernisation du réseau routier et le progrès technologique portent un coup fatal à la ligne. Déjà obsolète lors de sa mise en service, elle souffre rapidement de la concurrence des voitures et des autocars, plus confortables et plus rapides. 

Le 1er octobre 1938, face à l’ampleur du déficit, le tronçon reliant Saint-Nizier-du-Moucherotte à Villard-de-Lans est fermé. La Seconde Guerre mondiale donne un peu de répit à la ligne du fait de la réquisition des automobiles et de la pénurie de carburant, mais le 31 mars 1949 son terminus est ramené à Seyssins. Le 3 novembre 1950, la dernière rame quitte sa gare. 

Personne n’imaginait alors que le tram y serait de retour cinquante-cinq ans plus tard, le 20 mai 2006.

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Mais aussi : 

Histo Bus grenoblois : voyager dans le passé 

Certains collectionnent les montres. D’autres les autobus. C’est le cas des 77 adhérents de Standard 216 Histo Bus grenoblois, une association créée à Pont-de-Claix en 1989 pour sauvegarder et présenter dans un espace muséographique les véhicules de transport en commun ayant circulé en Isère depuis la fin du XIXe siècle. 

Elle possède aujourd’hui 36 véhicules, dont son fleuron, un Saurer 3CT 3D dont la conception date de 1939, identifiable à la longueur de son capot et à sa conduite à droite. 

Outre ses véhicules, l’association expose, dans un hall de 3 000 m2, un fonds d’archives visuelles et sonores, dont une section réservée aux tramways. “S’asseoir sur la banquette d’un antique tramway, monter dans un vieil autobus, c’est retrouver un peu de mémoire”, conclut Jean-Marie Guétat, l’un des fondateurs de l’association. 

Standard 216 Histo Bus grenoblois - Visite gratuite sur rendez-vous - 06 15 58 65 55.

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Repères

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Un réseau isérois dense

À partir de 1893, la Société des voies ferrées du Dauphiné, les Chemins de fer économiques du Nord, propriété de la famille Empain, la Compagnie du Tramway Grenoble-Chapareillan, la Société grenobloise des tramways électriques et les Tramways de l’ouest du Dauphiné créent de nombreuses lignes de tramway pour désenclaver les territoires isérois. 

Plus d’une trentaine au total, dont celle reliant Jarrie à Rioupéroux, ouverte en 1893 et prolongée l’année suivante jusqu’au Bourg-d’Oisans, mais aussi Gières-Domène, Grenoble-Veurey, Vienne-Voiron, La Côte-Saint-André-Le Grand-Lemps ou encore Roybon-Saint-Marcellin. 

Synonymes de progrès, ces réseaux ont connu leur apogée en 1932 avant de subir la concurrence des voitures et des autocars puis de disparaître complètement en 1952. Pour renaître à Grenoble… trente-cinq ans plus tard.

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Brèves de tramway 

Une absence remarquée ! 

Lors de l’inauguration de la GVL, le 26 juin 1920, Paul Mistral, maire de Grenoble, brille par son absence. Interdit de manifestation par son parti (SFIO) qui voulait ainsi montrer son désaccord avec les sanctions prises par le gouvernement en raison de grèves, il n’a pu assister au banquet offert par les municipalités du canton de Villard-de-Lans. 

Discrimination

Parmi les archives de la GVL, une lettre anonyme adressée au ministre des Travaux publics proteste contre l’emploi d’une femme comme chef de train. “Si le wattman se trouvait empêché, elle serait incapable d’arrêter le convoi”, peut-on lire. 

Querelles d’ivrognes 

Sur le second tronçon de la GVL, des rixes opposent régulièrement des ouvriers armés de couteaux ou de revolvers, semant la panique chez les riverains de Seyssinet-Pariset, Seyssins et Saint-Nizier-du-Moucherotte. 

En 1912, la presse réclame même le départ des « apaches » – la racaille d’autrefois – qui se sont mêlés aux travailleurs.

©Mdp

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