L’Isère, terre viticole

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Dix ans après la création de l’indication géographique protégée (IGP), le vignoble isérois retrouve des lettres de noblesse grâce à une nouvelle génération de jeunes vignerons passionnés de cépages patrimoniaux. Une filière d’avenir sur laquelle mise le Département.

Etraire, altesse, verdesse, persan, galopine, sérénèze, servanin, joubertin ou onchette… Ces cépages ne vous évoquent rien ? Ils firent pourtant l’identité et la réputation du vignoble isérois il y a 150 ans, avec quelques autres. Et s’ils restent encore confidentiels, ils sont déjà bien repérés des connaisseurs, grâce au travail de vignerons passionnés, voire acharnés, qui les ont replantés sur les coteaux du Grésivaudan, dans les Balmes dauphinoises ou dans le Trièves, pour en extraire des jus souvent enthousiasmants.

Thomas Finot, à Bernin, compte parmi ces pionniers, avec Nicolas Gonin à Saint-Chef, Stéphanie Loup à Saint-Savin ou Laurent Fondimare et Wilfrid Debroize au Touvet, qui ont contribué à renouer avec la longue tradition viticole de notre département. Avant d’être ravagé par le phylloxera à la fin du XIXe siècle en effet, ce vignoble était aussi étendu que celui de Champagne. Deux guerres mondiales, puis l’industrialisation de la vallée ont ensuite précipité son déclin. “Les agriculteurs ont alors replanté beaucoup d’hybrides, avec des cépages à maturation rapide, comme le gamay, le syrah, le pinot noir ou le chardonnay  que l’on retrouve partout, résume Wilfrid Debroize, président du Syndicat des viticulteurs de l’Isère. On a perdu notre typicité, et on s’est fait supplanter par les côtes-du-rhône et les vins de Savoie.”


Un climat et un terroir idéaux pour la vigne
Originaire de la Drôme, Thomas Finot a misé sur les coteaux du Grésivaudan en 2007, reprenant les 7 000 mètres carrés de vignes de Daniel Zegna cultivés en verdesse, en persan et en étraire. “Il restait encore une cave coopérative à Bernin. Mais il n’y avait quasiment plus de vinification dans la vallée du Grésivaudan, alors que c’était la plus grande région viticole alpine jusqu’au milieu du XIXe siècle, avec 10 000 hectares de vignes superbement exposées !” Ce défricheur cultive aujourd’hui en bio 5 hectares durement acquis, sur ces coteaux très prisés des promoteurs.

Même renouveau dans les Balmes dauphinoises, en Nord-Isère, où les anciens ceps de chardonnay et de pinot ont laissé place à des variétés cultivées localement pendant des siècles, comme l’altesse, le viognier (appelé ici galopine) ou le persan… Résultat, les vins de l’Isère trônent aujourd’hui sur des tables étoilées en France, à New York ou au Japon. Installé depuis 2012 dans le Pays voironnais, Sébastien Bénard, un ancien ingénieur dans les énergies renouvelables d’origine champenoise, s’attache aujourd’hui à remettre au goût du jour le servanin, un cépage autochtone de rouge à l’acidité marquée, autrefois très répandu en Nord-Isère ou en Savoie : “J’ai pu récupérer, en 2018, 1 hectare de plants centenaires qui n’étaient plus vinifiés, à La Buisse. Ces cépages alpins sont les mieux à même d’exprimer leur terroir.”

À une bonne heure de route de là, dans le Trièves, à 1 000 mètres d’altitude, de jeunes viticulteurs regroupés en association ont récolté quant à eux en 2015 leur première cuvée d’onchette, un cépage d’altitude autrefois très répandu dans la région. Avec la création de l’IGP en 2011, ces viticulteurs hier isolés jouent désormais collectif, partageant des valeurs communes, comme le respect de la nature, le choix du bio, la volonté de retrouver une identité. “On a recréé du lien. L’objectif de notre syndicat, avec le soutien du Département et de la chambre d’agriculture, est maintenant d’encourager de nouvelles installations pour renforcer les secteurs déjà plantés. Nous avons déjà de nouveaux projets dans le Royans, le Voironnais, à Saint-de-Bournay. On espère arriver à 100 hectares dans l’IGP d’ici à dix ans”, projette Wilfrid Debroize.

Riche de la diversité de ses terroirs et de son climat idéal – un fort ensoleillement allié à l’air frais des plateaux alpins –, l’Isère a tout d’un terroir d’avenir !

 

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Les coups de cœur d’Enora Le Roy, caviste et œnologue

Co-organisatrice du 8e concours des Vins de l’Isère – un événement piloté par la Chambre d’agriculture avec le Syndicat des vins de l’Isère, le festival le Millésime, le Vin des Alpes et l’association Vitis-Vienna–, la créatrice de l’Apogée du Vin à Grenoble est une authentique passionnée qui aime à partager ses découvertes.

Elle nous livre ses impressions sur les médaillés de l’IGP Isère, sélectionnés cette année par un jury de 29 œnologues, sommeliers, chroniqueurs ou restaurateurs prestigieux de toute la France (dont Cyril Coniglio, meilleur caviste de France 2018, ou le sommelier du Sénat) ont dégusté une soixantaine d’échantillons de 23 producteurs isérois.

 

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Thomas Finot – Coteaux du Grésivaudan

Quand il s’est installé en 2009 à Bernin, le vignoble de la vallée du Grésivaudan était quasi en friche en dehors de quelques pionniers  comme Thomas Ferguson à Meylan ou le château Bayard, à Pontcharra.  Dix ans plus tard, ce pionnier cultive en biodynamie cinq hectares de vignes qu’il vendange à la main.

Des cépages oubliés comme l’étraire de la Dhuy, la sérénèze de la Tronche ou la Sainte-Marie de Biviers, et aussi des plus connus, comme le pinot noir ou le chardonnay, qui s’adaptent bien au climat de la Chartreuse. Quand il n’est dans ses vignes, toujours assoiffé de découvertes, cet artisan-vigneron se plonge dans les vieux grimoires pour retrouver les techniques et savoir-faire ancestraux qui firent de la vallée du Grésivaudan un vignoble prisé.

Aujourd’hui, ses vins rares sont sélectionnés par les plus grands sommeliers du monde – comme Pascaline Lepeltier, au restaurant Racines à New York. Une belle reconnaissance !

Au tableau d’honneur : Le « persan 2018 », médaille d’or du concours. Ce cépage noir, qui pousse sur les sols d’éboulis calcaires d’Isère et de Savoie, produit un rouge dense aux tanins bien structurés qui est ici vinifié « en dentelle », avec délicatesse.

 

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Laurent Fondimare et Wilfrid Debroize, Domaine des Rutissons – Coteaux du Grésivaudan

En 2010, Laurent Fondimare, ingénieur agronome, reprenait 40 hectares de vignes de verdesse à Saint-Vincent de Mercuze. Ce cépage blanc endémique, autrefois largement cultivé dans la vallée du Grésivaudan, avait quasiment disparu du paysage. Une découverte et le début d’une belle aventure pour ce Normand. 

Avec Wilfrid Debroize, autre fou de vin qui le rejoint en 2013, il a recréé de toutes pièces un vignoble constitué exclusivement de cépages anciens, cultivé et vinifié en bio, qui s’étend désormais sur 5,5 hectares. Les flacons des Rutissons sont appréciés des connaisseurs bien au-delà de nos frontières, jusqu’aux Etats-Unis. Sacré talent !

Au tableau d’honneur : « Les Ailés 2018 » (viognier, verdesse), médaille d’or. Un vin blanc liquoreux mais sans excès de sucres grâce à une pointe de fraîcheur. Le viognier se marie allègrement au verdesse pour exprimer des notes de citron confit, d’épices douces et d’abricot

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Antoine Dépierre, Domaine Mayoussier, à Auberives-en-Royans (IGP Isère)

Installé au pied du Vercors, dans le domaine familial, Antoine Dépierre a planté 3 hectares de vignes en sauvignon blanc, syrah, roussanne et viognier qu’il cultive en biodynamie depuis 2013.

Cet épicurien pousse loin le côté nature en utilisant la traction animale à cheval pour le labour. Les sols sont préservés pour laisser la vigne donner le meilleur d’elle-même.

Au tableau d’honneur : le « syrah 2018 », médaille d’argent. Pour son premier millésime en propre, Antoine Dépierre a fait fort, avec ce syrah 100 % naturel au bon goût de fruit, tout en gourmandise et profondeur.

 

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Stéphanie Loup, Domaine du Loup des vignes, à Saint-Savin  – Les Balmes dauphinoises

Stéphanie Loup cultive depuis 2003 les 8,5 hectares du domaine du Loup des Vignes sur les coteaux abrupts et bien ensoleillés dominant le village de Saint-Savin, près de Bourgoin-Jallieu.

Très engagée dans l’IGP Isère dont elle a contribué à la rédaction du cahier des charges, Stéphanie produit en raisonné des vins mousseux et des blancs réputés mais aussi, des rouges ou rosés avec une dizaine de cépages différents - chardonnay, viognier, jacquère, mondeuse ou syrah… Elle vient aussi de planter des ceps de verdesse dont la première production devrait arriver en 2021.

Au tableau d’honneur : le « pinot noir 2018 », médaille de bronze. Ce cépage typique de la Bourgogne, qui s’adapte très bien au terroir argilo-calcaire des Balmes dauphinoises, est ici interprété tout en douceur et en rondeur, avec une cuvée qui tire sur le fruit.

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Luc Métral à Chanas

Depuis 2011, cet ancien expéditeur de fruits a réalisé un très vieux rêve en replantant des pieds de viognier et de chardonnay sur une parcelle en friche des coteaux rhodaniens : une ancienne moraine glaciaire de galets roulés idéalement exposée, riche en oxyde de fer.

Pour se démarquer des productions de la rive droite du Rhône, il produit exclusivement des vins blancs aux arômes bien typés qu’il commercialise en Isère, à la cave ou via les salons (Vienne, Pont-de-Beauvoisin, Sillans).

Au tableau d’honneur : les Galets oubliés 2018, médaille d’or. Un viognier doux et flamboyant vendangé fin octobre, quand les raisins sont presque confits, qui se déguste comme un nectar : il laisse une belle longueur en bouche, sur fond de miel épicé et de liqueur d'abricot.

 

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Martine et Béatrice Meunier, à Sermérieu – Les Balmes dauphinoises

En 2008, Martine et Béatrice reprenaient l’exploitation familiale, représentant la sixième génération de viticulteurs.

Perpétuant la tradition paternelle, les deux sœurs cultivent et vinifient six hectares de vigne sans pesticides, désherbage ni levure, pour garder toute l’expression de ce terroir exceptionnel – avec une touche féminine en plus.

Au tableau d’honneur : le chardonnay 2018, médaille d’or. Aucune fausse note et beaucoup d’élégance dans ce chardonnay, cépage typiquement bourguignon, qui s’acclimate à merveille au terroir des Balmes dauphinoises.

 

Et aussi…

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Samuel Delus - Trièves

Originaire du Trièves, cet ancien professionnel de l’audiovisuel, créateur du domaine de l’Obiou, a entrepris il y a dix ans de replanter la vigne de ses ancêtres à Prébois, face au majestueux sommet de l’Obiou, à 750 mètres d’altitude.

Aujourd’hui, ils sont cinq jeunes producteurs au sein de l’Association des vignes et vignerons du Trièves qui cultivent à eux tous 12 hectares de vignes en bio à partir de cépages variés dont la douce noire, le persan ou l’onchette – une variété de raisin blanc endémique qui poussait sur les berges du Drac, dont il a fallu retrouver des souches. Le vignoble est en cours d’homologation pour rejoindre l’IGP Isère.

Mention spéciale : Le vin blanc de l’Obiou, surprenant de fraîcheur et de fruit en nez et en bouche.

 

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Sébastien Bénard, à La Buisse – Coteaux du Grésivaudan

Cet ancien ingénieur dans les énergies renouvelables, reconverti dans la vigne, a entrepris en 2012 de replanter autour de sa ferme des cépages autochtones - viognier, verdesse, persan, étraire de la Dhuy et servanin – qu’il cultive en bio, sur 2 hectares.

En 2018, il récoltait sa troisième cuvée : des vins nature rouges ou blancs.

Mention spéciale : Son blanc aux notes de noisette et de citron exprime des saveurs complexes, bien agréables...

 

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Frédéric et David Giachino à Chapareillan

Si une partie du vignoble rentre dans l’AOC Vins de Savoie, ce domaine  étoilé au Guide vert de la prestigieuse Revue des vins de France est aussi très investi dans l’IPG Isère.

Travaillant exclusivement en bio, les frères Giachino ont repris en 2015 les 6.5 hectares de vignoble de Michel Grisard en Savoie – véritable père de la viticulture alpine et grand défenseur des cépages rares ou disparus.

Mention spéciale : Une cuvée de rouge à base de cépages locaux (étraire de la Dhuy, gamay et douce noire) qui mérite le détour !

 

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