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À l’ombre des tilleuls, à Chatte, Nadia et Jean-Pascal Crouzet ont recréé un cocon raffiné pour accueillir les amoureux du patrimoine textile dans une ancienne fabrique de soie.
Juliette Brun. Le nom est gravé à la main sur le bois de l’une des impressionnantes machines à engrenages (ou banques de dévidage). Celui de l’une des centaines d’ouvrières, pour la plupart de très jeunes filles, voire des enfants, qui œuvrèrent douze à quatorze heures par jour dans cet ancien atelier de moulinage de la soie, du XVIIIe siècle jusque dans les années 1920.
Jean-Pascal Crouzet, un architecte natif de Saint-Marcellin, a eu un coup de cœur en 1997 pour ce lieu chargé d’âme et d’histoire avec son épouse Nadia, architecte elle aussi. Le couple, qui vivait alors à Paris, s’est mis en tête de le faire revivre, en s’y installant et en l’ouvrant aux amoureux du patrimoine au cours de visites guidées, d’expositions ou de concerts.
Depuis deux ans, ils accueillent également des hôtes dans deux suites de charme aménagées dans l’ancienne magnanerie (le bâtiment dédié à l’élevage des vers) pour une parenthèse soyeuse au pied du Vercors, au cœur de la noyeraie et de la nature environnante. Le bourdonnement des métiers à tisser a cessé, mais la mémoire de Juliette et des autres résonne toujours en écho. « C’est comme si elles venaient de quitter les lieux », s’émeut Jean-Pascal.
Un site inscrit aux Monuments historiques
Le site, demeuré dans son jus avec toutes ses machines, est l’un des rares à témoigner de l’ensemble du cycle de production du précieux fil de soie : de l’élevage des vers au moulinage (transformation du fil brut), en passant par le tissage (dévidage des cocons), avec tous les bâtiments annexes (logements des directeurs, dortoirs…).
Grâce à la mobilisation de l’association Les Amis de la Galicière constituée, pour le sauver, il est inscrit en 2004 à l’inventaire des Monuments historiques.
L’une des plus importantes fabriques de l’Isère
Plongeant dans les archives, les propriétaires ont découvert que la fabrique fut l’une des trois plus importantes de l’Isère. La soierie au XVIIIe siècle était en effet une activité prépondérante en Dauphiné. Une manufacture royale avait été créée en 1778 dans le village voisin de La Sône : Jacques Vaucanson, qui résidait alors au château, s’était chargé de la mécaniser. Juste à côté, Saint-Antoine-l’Abbaye comptait à lui seul près d’une dizaine de moulinages.
Un futur lieu de mémoire autour de la soie
Après l’épidémie de pébrine qui décima les élevages de vers à soie en 1860, puis le percement du canal de Suez en 1869, qui ouvrit la voie aux étoffes étrangères, et l’invention de la soie artificielle, la production française amorça un inéluctable déclin.
À la Galicière, la filature s’arrêta dès 1870. Resté en l’état avec ses hautes verrières, le bâtiment typique menaçait ruine après l’effondrement de son toit. Un ambitieux chantier porté par l’association va permettre de le pérenniser et de créer un centre d’interprétation sur le travail de la soie, en valorisant un fonds de 600 plaques de verre photographiques (datées de 1898 à 1911) et les nombreux objets retrouvés sur place.
Le projet, soutenu par le Département, est lauréat 2023 du Loto du patrimoine de Stéphane Bern avec une dotation de 230 000 euros.
©Pascal Flamant & Luc Boegly
Plus d'infos : galiciere.org
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Une BD à lire
Fileuses de soie
Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat, deux scénaristes installés dans le Trièves, et Jean Côme, dessinateur, évoquent la vie au sein d’une usine-couvent de la Drôme voisine à travers le destin de deux jeunes orphelines tisseuses de soie. Une BD bien documentée et une belle histoire d’amour.
Luc Boegly
La suite « Cocon », l’une des deux chambres aménagées dans l’ancienne magnanerie