Il fabrique le premier ski français
Abel Rossignol et le champion de ski Henri Oreiller en 1948.
Quand Abel Rossignol (1882-1954) ouvre son petit atelier de tournerie sur bois en 1903 à Voiron, il ne songe pas alors à fabriquer des skis… mais à fournir les usines textiles de la région lyonnaise en bobines et cannettes pour leurs métiers à tisser. Dès qu’il a des loisirs, le jeune homme de 21 ans adore arpenter les pentes enneigées de la Chartreuse toute proche.
En 1907, inspiré par les premiers concours de ski internationaux qui se déroulent à Montgenèvre et au Sappey-en-Chartreuse, cet inventeur-né entreprend de se fabriquer sa propre paire de planches en bois massif, sur le modèle des premiers skis : le norvégien Sondre Norheim a déjà trouvé la forme idéale pour tourner plus facilement dans la poudreuse, avec cette taille de guêpe et l’extrémité avant légèrement relevée, pour évoluer dans la neige molle.
La technique reste rudimentaire : les spatules (170 cm de long, 65 mm de cote au patin, 76 mm au talon) sont taillées en une seule pièce dans une planche de bois, puis chauffées à la vapeur pour assurer le maintien. Il n’empêche que le premier ski made in France est un succès : Abel reçoit deux ans plus tard le premier prix du concours national de fabrication du Touring Club de France, à Chamonix. Et ce n’est que le premier d’une longue série !
Durant la Première Guerre mondiale, le petit atelier voironnais va fournir ainsi régulièrement des paires de skis à l’armée française. Le marché tout neuf se développe partout en Europe : on l’estime, entre 1910 et 1930, à 80 000 paires. Le textile assure toujours l’essentiel de l’activité de Rossignol mais un tournant s’opère en 1936 quand Abel, sur une idée de son fils (qui s’appelle aussi Abel), entame une collaboration avec le champion Émile Allais.
Le skieur se rend directement à l’atelier à Voiron pour sélectionner les essences de bois utilisées pour ses planches (les plus souples pour la descente, les plus rigides pour le slalom) et optimise ainsi le matériel. Bingo, il remporte la médaille en combiné et en slalom aux Jeux olympiques d’Allemagne puis devient l’année suivante le titre de triple champion du monde à Chamonix : un sacré coup de pub pour les skis Rossignol et pour la pratique !
Les skis d’Abel remportent le premier prix du Touring club de France en 1909.
Le ski des champions
Avec les congés payés, les sports d’hiver entament alors leur irrésistible ascension vers les sommets de la popularité. Mais comment éviter la casse des skis avec l’humidité ?
C’est précisément en recollant ceux d’Émile Allais qu’Abel junior (qui a repris les rênes de la société) va trouver la solution qui donnera naissance plus tard à l’Olympic 41 (ou Allais) : le contrecollé inspiré de l’ébénisterie, qui consiste à superposer plusieurs planches en les maintenant par de la colle d’écailles de poisson, est breveté.
Le ski transformé en millefeuilles vient d’entrer dans l’ère moderne et technologique dont il ne ressortira plus. Les plus grands champions skient avec des spatules Rossignol aux pieds ! Abel, toujours aussi créatif, continuera quant à lui d’innover avec des luges, des bobsleighs, et même un « véloski ».
Après son décès en 1954, l’entreprise tournera définitivement la page du textile de plus en plus moribond pour prendre à fond le virage du ski sous l’impulsion de Laurent Boix-Vives, un entrepreneur de Courchevel contacté par Émile Allais.
En cinq ans, les 8000 paires de spatules fabriquées alors chaque année seront 50 000 : la firme devient planétaire et ne descendra plus des podiums. Resté fidèle à la région voironnaise, le siège social du groupe Rossignol est aujourd’hui implanté à Saint-Jean-de-Moirans. Avec ses autres marques, il est un des leaders emblématiques du marché des sports d’hiver.